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Heures lorraines

1857 : un empoisonneur à la Harpaing, écart de Xertigny

Quand je lis l'acte de décés de Nicolas Diolez, un cousin éloigné mais assez proche pour être intégré à mon arbre généalogique, rien ne laisse supposer qu'il est mort empoisonné. Seule une deuxième tentative avortée de son meurtrier sur l'épouse de Nicolas Diolez permettra de remettre en question les circonstances de sa mort et d'incriminer Nicolas Joseph Gury.

Cour d'Assises des Vosges relaté par la Gazette des Tribunaux

3 mars 1858

Cette affaire avait attiré la foule au palais de justice.L'accusé a vingt-six ans, sa tenue est décente, sa mine convenable. Il a les traits réguliers et doux, sa physionomie est placide. A sa vue, on sent que son crime ne demande pas un grand courage.C'est un empoisonneur. Voici l'acte d'accusation.

"Nicolas-Joseph Gury épousa le 7 février 1854 Marie-Claire Diolez alors âgée de vingt-six ans et vient s'établir au hameau de la Harfaing, commune de Xertigny dans la demeure de Nicolas Diolez et de Marie-Catherine Laurent, les parents de Marie-Claire.

Cette union ne fut pas heureuse. La femme Gury avait un caractère difficile, emporté, un langage grossier, une humeur acariâtre.De là de fréquentes querelles qui rendait la vie commune insupportable à l'accusé. Un mois après son mariage, il quitta pendant huit jours le domicile familial. En 1855, il alla encore passer près de six mois chez un sabotier du même hameau. Les époux Diolez prenaient toujours le parti de leur fille et eux-mêmes étaient difficiles à vivre, Diolez surtout que ses propres enfants représentent comme un vieillard exigeant, impérieux, toujours grognant.

A diverses reprises des discussions blessantes s'élevèrent entre lui et son gendre. Le 15 janvier 1855, à la suite d'une scène dans laquelle furent échangés des coups, l'accusé chassa les époux Diolez qui se réfugièrent chez une de leurs filles, mariée au nommé Dumay et cessa tous rapports avec eux. Il consentit cependant à les recevoir de nouveau chez lui au bout d'un an car au commencement de 1856, Dumay tomba malade et ne pouvait plus s'en charger. Toutefois la vie en commun ramena bientôt les vieilles querelles et était pour l'accusé une cause continuelle d'incommodités. La maison très petite, ne comporte que deux pièces de faible dimension que remplissaient l'hiver le banc de travail de Gury, son chevalet, ses outils, les bois qu'il façonnait en sabots lesquels confectionnés, étaient mis à sécher.

Le séjour de deux vieillards maladifs et moroses dans cet espace déjà trop exigu, était pour l'accusé un embarras de tous les instants.Les voisins évitaient d'aller le voir car, disaient-ils,l'espace était si petit que cela le gênait dans son travail.Cette gêne se fit surtout sentir dans l'hiver de 1856 à 1857, lorsque Gury et son nouveau-né tombèrent ensemble malades de la rougeole. Les époux Diolez étaient encore pour l'accusé une charge pécuniaire, et les époux Gury étaient de leur côté, dans une misère presque complète.Au jour de son mariage, Gury n'avait que ses outils ; sa femme ne possédait que sa maison et deux pièces de terre. Les embarras d'argent et les dettes avaient commencé pour eux dès leur entrée en ménage.La naissance de deux enfants puis la maladie les avaient encore accrus. Gury, atteint de la rougeole dans l'hiver de 1856 à 1857, avait été pendant un mois dans l'impossibilité de travailler. Il était obligé d'acheter à crédit le pain, le fourrage,les objets de première nécessité. Au mois de février 1857, ses dettes s'élevaient à 370 fr. environ ; la plupart étaient exigibles. Dans cette situation, la mort des époux Diolez et le partage de leur succession entre leurs sept enfants auraient diminué ses dépenses, et en même temps, si modique que fût la portion héréditaire de sa femme, il aurait été en mesure de faire face aux besoins les plus pressants. Qu'ils vécussent au contraire quelques années encore, leur entretien absorbait nécessairement leur modique capital, et ils allaient se trouver un jour à la charge de leurs enfants, surtout à la charge de l'accusé. Ces réflexions préoccupaient Gury : on les voit percer au milieu de ses plaintes contre sa femme et contre ses parents : « Ces vieux-là sont si méchants, si grognards ! disait-il un jour dans l'été de 1856 à la veuve Pierrot; il fait bon être seul ; je ne veux pas toujours les garder avec moi. » Et comme cette femme l'engageait à le faire, ne fût-ce que pour en tirer un jour quelque profit : « Ils sont vieux, répondait-il, ils ne peuvent plus travailler ; ils mangeraient bien tout ce qu'ils ont !» — « Si j'étais tout seul avec mon petit, disait-il un jour à sa femme au commencement de 1857, je serais bien aise!" Ce propos dit en riant fut d'abord pris pour une plaisanterie.Les évènements qui suivirent, en donnèrent une toute autre portée.

Dans la nuit du vendredi au samedi 21 février 1857, Nicolas Diolez, dont la santé était bonne depuis le commencement de l'hiver, fut saisi à l'improviste de vomissements et de douleurs très violentes : l'estomac fut attaqué d'abord, puis les intestins. Son ventre le brûlait, diait-il. Il ne pouvait rester couché, et il s'asseyait sur son lit avec tous les signes d'une grande souffrance. Il mourut le lundi 23 février, à onze heures du matin, sans qu'aucun autre fait anormal ait signalé sa courte maladie; on remarqua seulement que Gury n'avait pas pour lui les soins dus à un vieillard et à un agonisant. Mais, en recherchant l'origine de ces violentes douleurs, la veuve Diolez et sa tille se rappelèrent un incident, inexpliqué pour elles, du dernier souper du défunt, et reconnurent avec inquiétude que l'invasion du mal avait commencé avec la digestion des aliments pris par lui dans ce repas. Les deux vieillards se nourrissaient à leurs frais; ils préparaient chaque jour leur soupe dans un pot de fonte et la faisait cuire au foyer commun. Une fois la soupe cuite, on versait séparément dans deux écuelles la portion du mari et celle de la femme, et on les laissait tremper pendant quelque temps. Ce partage était fait le 21 février, et chacun des époux commençait son repas, lorsque Diolez s'écria que sa soupe sentait le soufre, qu'il y voyait quelque chose comme s'il s'y trouvait des allumettes. La femme de l'accusé s'approcha; la soupe, chaque fois qu'elle était remuée par la cuillère, produisait la même lueur, la même fumée que le frottement des allumettes chimiques : quelques fragments d'une substance pâteuse, de couleur grisâtre, surnageaient en fusion à la surface. Elle goûta cette soupe, lui trouva l'odeur et la saveur du soufre, et engagea son père à la laisser. Diolez répondit que deux fois déjà il en avait mangé de pareille et que cela ne lui avait pas fait mal. Il continua son repas et ne laissa rien dans son écuelle ; quelques heures après, son agonie commençait.

La mort de Diolez n'améliora pas la situation de l'accusé et ne ramena pas la bonne harmonie sous son toit. Sa belle-mère, laissée, par un arrangement de famille, en possession de la modique succession du défunt, continua à dépenser son argent. Son état exigeait cependant plus de soins que jamais : elle avait eu une attaque d'apoplexie huit ou quinze jours après la perte de son mari ; son bras droit et sa jambe droite étaient à peu près paralysés ; il fallait la servir. « Vers la même époque, le second enfant de l'accusé, nommé Marie-Eugénie, qui était née au mois de mai 1856 attrapa la rougeole suite à l'épidémie qui régnait à Xertigny.Au mois de mars ou d'avril 1857, sa femme lui déclara qu'elle était enceinte depuis le mois de janvier. La naissance d'un troisième enfant menaçait d'accroître ainsi bientôt ses charges et ses embarras, lorsque la mort de Marie-Eugénie vint tout à coup les diminuer. Depuis quelque temps, la santé de cette enfant semblait s'améliorer ; la rougeole diminuait ; le 20 avril, sa mère lui avait donné un morceau de beignet qu'elle avait mangé avec appétit. Malgré ces signes de convalescence, elle fut saisie, le 28 avril, de convulsions et de vomissements qui rappelaient la mort de son grand-père. Elle expira le même jour, à cinq heures du soir. « Vers trois heures, sa mère l'avait prise sur ses genoux; l'enfant eut une selle et salit le tablier sur lequel elle était placée. La femme Gury essuya avec un linge la malade d'abord, puis le tablier qu'elle avait taché, et, au contact de ces deux pièces d'étoffe, couvertes toutes deux des déjections de l'enfant, elle vit avec effroi reparaître et l'odeur de soufre et la fumée blanchâtre qu'exhalaient deux mois auparavant les aliments de Nicolas Diolez. Le tablier conserva cette odeur pendant plusieurs jours; les deux témoins de ce fait attestent la profonde impression de terreur qu'il produisit sur la femme Gury : « Il faudra donc que nous mourions tous de la même maladie, s'écria-t-elle, cela fume comme la dernière soupe de mon père. »

Un mois s'était à peine écoulé que ces signes précurseurs de la mort reparaissaient dans la maison de l'accusé. L'une des filles de la femme Diolez, la veuve Dumay acheta pour sa mère 10 mai, une demi-livre de miel chez un épicier de Xertigny. C'était pour la veuve Diolez plus que septuagénaire, atteinte d'un rhume assez fort, un médicament aussi bien qu'une friandise; aussi, elle seule en mangeait; le verre à boire qui le contenait restait à sa portée, près de sa place habituelle, sur la fenêtre. « Le 14 mai, dans la matinée, en l'absence de son gendre et de sa fille, retenus tous deux au dehors, elle voulut prendre de ce miel comme elle le faisait tous les matins; mais à la première bouchée, elle lui trouva un goût de soufre et une odeur nauséabonde qu'il n'avait pas eus jusque-là. Elle n'osa pas en manger davantage, cette seule cuillerée suffit pour lui donner des douleurs d'estomac. Quand sa fille revint des champs, à midi, elle se plaignit à elle de l'étrange saveur de cet aliment. La femme Gury le goûta et reconnut la saveur du soufre; elle l'examina alors attentivement, et y aperçut des parcelles d'une substance étrangère, de couleur grisâtre. Une de ces parcelles, écrasée entre ses doigts, répandit l'odeur du soufre, et produisit cette fumée lumineuse qui se dégage du phosphore par le frottement. Toute incertitude devenait dès lors impossible : il y avait eu évidemment tentative d'empoisonnement sur la personne de sa mère, et cette tentative expliquait à la fois la mort de Diolez et celle de la jeune Marie-Eugénie. Les soupçons de la femme Gury se portèrent nécessairement sur son mari, qui seul, depuis la veille, avait pu jeter dans le verre une substance vénéneuse. « Il est facile de le vérifier, lui dit sa sœur, la veuve Dumay, à laquelle elle alla confier ses alarmes; il faut l'inviter à goûter le miel, pour voir s'il est mauvais, comme le dit notre mère; s'il refuse d'en goûter, c'est qu'il saura d'avance quelle substance y est mêlée. » Gury fut soumis à cette épreuve le même soir, à son retour du bois. Il examina le miel, dit qu'il ne savait pas ce qui s'y trouvait, qu'il sentait le soufre et qu'il fallait le jeter ; et, quoique sa femme lui demandât de le conserver et de faire vérifier la substance suspecte qui y était mêlée, il se dirigea vers le ruisseau voisin, tenant à la main le verre qui contenait le reste du miel. A peine franchissait-il le seuil de la porte, qu'il aperçut à quelques pas la veuve Dumay se dirigeant vers lui. 11 pressa aussitôt sa marche vers le ruisseau, et lava précipitamment le verre dans l'eau courante, de manière à faire disparaîtra entièrement le miel et la matière qui lui donnait le goût de soufre. « Cette conduite était bien de nature à corroborer les soupçons de la femme Gury; elle s'efforça cependant de dissimuler ses terreurs, et, comme le métier de son mari le retenait au dehors toute la journée, elle profita de son absence pour fouiller la maison et pour rechercher partout le poison dont le hasard avait préservé sa mère. Le premier jour, ses recherches furent inutiles; mais le lendemain, le 16 mai, elle eut l'idée de visiter une vieille cage en bois, suspendue dans un coin de la cuisine qui contenait des objets hors de service, et que l'on n'ouvrait jamais.Elle y trouva, caché par ces ustensiles, un petit pot de terre soigneusement bouché, qu'elle n avait jamais vu. Elle l'ouvrit, et au même instant en sortirent une fumée blanche et une forte odeur de soufre. Ce pot contenait, jusqu'au tiers de sa hauteur, cette substance pâteuse, de couleur grise, qu'elle avait vue le 20 février, dans la soupe de Nicolas Diolez. C'était de la pâte phosphorée, poison très violent, que les pharmaciens vendent sous le nom de mort-aux-rats, pour détruire ces animaux. Le pot portait primitivement une étiquette en papier blanc dont il ne restait plus que des lambeaux. Sur l'un, on lisait le mot "pâte" suivi de la lettre P, commençant un mot dont le surplus avait disparu; au dessous, un autre fragment portait le nom de Plombières. « La femme Gury montra aussitôt sa trouvaille a sa belle-sœur Marie Martin.

Le soir, vers six heures, quand Gury rentra, elle lui présenta le pot de terre, en lui disant qu'elle l'avait trouvé dans la cage, à la cuisine. Gury, sans l'ouvrir, sans même demander ce qu'il renfermait, répondit que « ce n'était pas lui qui l'avait apporté. — Tu es un « malheureux si tu t'en es servi, » répliqua sa femme; et aussitôt, sans autre explication, il s'écria : « Tu veux dire que j'ai fait mourir ton père et notre enfant ; je suis « innocent de leur mort, mais puisque tu m'accuses de « pareille chose, je ne veux plus rester avec toi ; je m'en vais, tu seras débarrassée de moi. » Il partit en effet sur-le-champ, erra quelques jours dans les cantons de Xertigny et de Bains, fuyant l'approche des gendarmes et dévoré d'inquiétudes, puis passa dans le département de la Haute-Saône, et fut arrêté le 21 mai à Jussey, où, depuis la veille, il travaillait au chemin de fer.

Trois jours plus tard, la Providence protégeait une seconde fois la famille Gury contre un empoisonnement préparé par l'accusé. Sa femme, après son départ, n'avait pas osé rester dans sa maison où il pouvait revenir; elle n'y rentra que le 24 mai. En prenant du bois pour allumer du feu dans sa cuisine, elle trouva par terre, dans le tas d'ételles, une pomme de terre crue et non pelée, de grosseur moyenne, qui semblait tombée là par hasard. Elle la ramassa afin de la joindre à celles qu'elle allait faire cuire pour le dîner, et par un mouvement machinal, la plaça sur l'appui de la fenêtre qui se trouvait à sa portée. « Le feu allumé, elle voulut la jeter dans le pot qui renfermait toutes les autres ; mais la trouvant molle et vidée, elle l'examina de plus près, et s'aperçut qu'elle était coupée en deux morceaux et habilement reconstituée. Elle l'ouvrit en présence d'une voisine, et toutes deux reconnurent avec effroi que ce tubercule était creusé à l'intérieur et qu'il renfermait un morceau de pâte phosphorée, gros comme une noisette, suivant elle, gros comme une noix au dire de l'accusé qui a fait sur ce point des aveux complets. « Interrogé par M. le juge d'instruction, Gury soutint qu'il n'avait empoisonné ni son beau-père ni son enfant; il avoua, au contraire, avoir introduit de la pâte phosphorée dans le miel de la veuve Diolez, le 14 mai, et le 15 ou le 16 dans la pomme de terre trouvée par sa femme huit jours après, il voulait, a-t-il dit, les manger lui-même pour se suicider, las qu'il était de ses querelles avec sa femme. Il est difficile de ne pas voir dans ce système de défense un véritable aveu d'une tentative d'empoisonnement commise sur la personne de la veuve Diolez.On ne saurait comprendre, en effet, que l'accusé, dans le dessein de se suicider le 14 au soir, ait empoisonné dès le matin le miel dont sa belle-mère seule faisait usage à titre de médicament, et qu'il soit allé ensuite travailler toute la journée loin de sa maison, laissant cet aliment à sa place habituelle, sur la fenêtre du poêle, à la disposition de sa belle-mère, qui en prenait, il le savait très bien, à chaque instant du jour. On ne peut croire non plus que, le 16 mai, Gury ait eu l'intention de se détruire lui-même, le soir, à l'aide de la pomme de terre préparée dès le matin lorsqu'on le voit dans le cours de cette journée chercher de coupe en coupe du bois propre à la confection des sabots, discuter les prix comme d'habitude, faire enfin marché pour une somme considérable, pour 80 fr.

La preuve du crime tenté le 14 et le 15 mai emporte avec elle celle des crimes qui l'ont précédé. Si Diolez et sa petite-fille ont péri par suite d'une ingestion de phosphore, nul autre n'a pu leur administrer ce poison que l'auteur de la tentative commise, si peu de temps après, dans le même lieu, dans les mêmes circonstances, avec la même substance, sur la veuve de la première victime. Or, les détails de leur mort rappelés plus haut, et l'expertise médico-légale à laquelle leurs estomacs et leurs intestins ont été soumis, ne peuvent laisser aucun doute sur les causes de ces deux décès. Les experts établissent que quelques centigrammes de phosphore peuvent suffire pour donner la mort à un adulte et, à plus forte raison, à un enfant en bas âge et à un vieillard débilité,. Ils constatent dans le tube digestif des deux sujets soumis à leur analyse, des lésions organiques de même nature, dues, les unes et les autres, à l'ingestion d'une substance irritante et corrosive comme le phosphore, et ils ajoutent que ces lésions suffisent pour expliquer la mort. Un rapprochement de date confirme d'une manière accablante les conclusions déjà si formelles de l'expertise.

Gury a introduit furtivement chez lui deux pots de pâte phosphorée. Le premier a été acheté par lui le 18 février 1857, et c'est le 20 au soir que Nicolas Diolez mangeait cette soupe phosphorescente qui devait lui donner la mort, en disant qu'il en avait déjà mangé deux fois de semblable ; l'achat du second pot a eu lieu le 26 avril 1857, et c'est le surlendemain 28, que Marie-Eugénie Gury mourait dans les mêmes convulsions que son grand-père. Invité à expliquer pourquoi il s'était procuré deux pots d'un poison aussi actif, et à indiquer l'usage qu'il en avait fait, l'accusé prétend qu'il a voulu débarrasser sa maison des rais et des souris, et qu'il y a répandu, dans ce but, des morceaux de pain recouverts d'une couche de mort-aux-rats. Si telle eût été la destination du phosphore acheté par lui, son premier soin eût été d'avertir de ces achats sa femme et les époux Diolez, de leur montrer la substance vénéneuse "et les pots qui la contenaient, de leur recommander enfin les précautions d'usage. Il a été obligé d'avouer, au contraire, qu'il avait tout fait pour cacher aux siens l'introduction dans sa maison de la pâte phosphorée. « Je n'ai jamais dit à ma femme que j'achèterais ou que j'avais acheté de la mort-aux-rats, con-fesse-t-il dans son interrogatoire, elle ignorait qu'il y en eût à mon domicile. Je n'ai parlé à personne de la pâte phosphorée.Je n'ai parlé à personne de ces achats. Mon beau-père et ma belle-mère les ignoraient comme ma femme. La femme Gury, qui sait lire, aurait tout deviné si elle avait pu apercevoir l'un des pots qui portaient tous deux en étiquette le mot : poison. C'est pour cela que l'accusé les a déposés successivement dans cette cage de la cuisine, que l'on n'ouvrait jamais; c'est pour cela aussi qu'il a fait disparaître le premier une fois 'épuisé. Quant au second, en sortant de la pharmacie de Plombières, où il a été acheté, il portait l'étiquette : Pâte phosphorée, poison. Ces deux derniers mots, les seuls significatifs, étaient enlevés lorsqu'il fut découvert dans la cage le 16 mai, et grâce à cette suppression qui ne peut être imputée qu'à l'accusé, rien ne pouvait plus révéler le contenu de ce vase. Il fallut tant de morts et tant de crimes accumulés pour que sa femme finît par y reconnaître un des poisons les plus violents que connaisse la science. Tout le mystère, toutes les précautions dont l'accusé s'est entouré ne s'expliquent que par la préméditation des trois crimes dont l'information et l'expertise montrent l'accomplissement.

En conséquence, Nicolas-Joseph Gury est accusé « 1° D'avoir, à la Harfaing, commune de Xertigny, attenté à la vie de Nicolas Diolez en lui administrant une substance qui peut donner la mort ; 2°d'avoir, dans le courant du mois d'avril 1857, au même lieu, attenté à la vie de Marie Eugénie Gury en lui administrant une substance qui peut donner la mort. 3° d'avoir dans le courant du mois de mai 1857, au même lieu, attenté à la vie de Marie Catherine Laurent, veuve de Nicolas Diolez, en lui administrant une substance qui peut donner la mort.

(Crimes prévus par les articles 301 et 302 du Code Pénal.)

L'accusé est interrogé. Il persiste dans ses dénégations. Sa parole tranquille, polie, ne dément en rien l'expression impassible de sa physionomie.De nombreux témoins sont entendus ; ils confirment en tous points les circonstances recueillies dans l'instruction; une des dépositions les plus importantes est celle de Blondelaud, savant professeur de toxicologie à l'Ecole de Médecine de Nancy, l'un des experts chargés de l'examen anatomique des organes digestifs des deux victimes. Il déclare que les lésions remarquées sur ces organes proviennent exclusivement de l'ingestion de substances irritantes et corrosives et qu'elles ont dû occasionner la mort ; que, s'il n'a été retrouvé aucune trace de ces substances, on ne saurait en induire qu'il n'y a pas empoisonnement, surtout s'il a été fait emploi du phosphore parce que ce poison s'absorbe avec promptitude et ne laisse rien à l'analyse ; que, de plus, et d'après son expérience personnelle, les ravages observés sont ceux généralement produits par les substances phosphoriques.

M. le Procureur impérial Duplessis a relevé avec force toutes les charges de l'accusation : sous sa parole, la cause, assez terne par elle-même a pris tout à coup les allures d'un drame émouvant. La tâche du défenseur était difficile. Me Leroy s'en est habilement acquitté.On sentait néanmoins qu'il ne voyait le succès que dans l'admission des circonstances atténuantes. M. le président prononce la clôture des débats et les résume avec un remarquable talent. Le jury entre dans la salle des délibérations. Minuit sonne lorsque l'accusé est introduit et, dans ce moment solennel, sa figure ne trahit pas la moindre émotion. Gury a obtenu le bénéfice des circonstances atténuantes. En conséquence, la Cour l'a condamné aux travaux forcés à perpétuité.


Nicolas Diolez né le 14/09/1783 à Xertigny, décédé le 23/02/1857 à Xertigny, fils de Nicolas Diolez et de Marie-Madeleine André, époux de Marie-Catherine Laurent

Marie-Claire Diolez, fille de Nicolas Diolez et de Marie-Catherine Laurent, épouse de Nicolas Joseph Gury, née le 09/10/1828 à Xertigny, décédée le 30/04/1869 à Xertigny.