Heures lorraines
En Moselle, il existe une spécificité liée aux cimetières. Il doit en effet y avoir autant de cimetières que de cultes professés dans la commune et à défaut, des séparations doivent marquer les emplacements des défunts des diverses confessions.
Dans les communes où l’on professe plusieurs cultes, chaque culte a un lieu d’inhumation particulier. Lorsqu’il n’y a qu’un seul cimetière, on le partage par des murs, haies ou fossés en autant de parties qu’il y a de cultes différents, avec une entrée spécifique pour chacune, et en proportionnant cet espace au nombre d’habitants de chaque culte.
Cette disposition sur l’existence des cimetières confessionnels trouve son origine dans l’Article 15 du Décret du 23 Prairial An XII (12 juin 1804). En Droit général, celle-ci a été abrogée par la loi du 14 novembre 1881 sur la liberté des funérailles. Donc, hors Alsace-Moselle, tout regroupement par confession sous la forme d’une séparation matérielle du reste du cimetière est interdite.
Fameck, terre mosellane annexée par les Allemands en 1870, soulève un émoi considérable dans toutes les Allemagnes. Son nom parait à la une de tous les quotidiens, Guillaume II s'en indigne publiquement et le pape Pie X est alerté.
Karl Stockmann, 26 ans, cheminot de son état, meurt. Quoi de plus naturel MAIS, il est protestant ! Il est inhumé dans le cimetière communal de Fameck en présence d'un pasteur venu d'Hayange.
La loi française du 12 juin 1804 est toujours en vigueur en 1904 en Moselle. Seremange par exemple avait son coin des protestants, près du carré (obligatoire) des suicides. La dépouille du suicidé était hissée par-dessus le mur du cimetière, l'entrée par la porte lui étant interdite.
Pour sa part, le gouvernement allemand avait interprété cette loi de telle sorte qu'une division de cimetière n'était exigible que dans les communes où les différentes confessions tenaient un culte public.Or il n'y a à Fameck qu'un culte catholique et le cimetière n'a jamais été partagé. Donc, sans partage et sans lieu réservé, le protestant a été enterré dans le rang parmi les autres tombes catholiques.
C'est sans compter sur l'abbé Griette, curé de la paroisse, qui alerte son évêque et lui fait savoir que le cimetière paroissial était désormais pollué.
L'interprétation allemande étant en contradiction avec la loi française et le droit canonique, l'évêque Mgr Benzler la récuse. Il interdit le cimetière ce qui signifie qu'aucun prêtre catholique n'en franchirait le seuil et que les morts y seraient ensevelis sans prières, dans une terre profanée.
On est en 1904, en Lorraine annexée et les Hohenzollern au pouvoir sont protestants. Cette intolérance religieuse est aussi une forme de résistance à l'occupant.
La politique s'en mêle, les esprits s'échauffent et le journal épiscopal le "Volkstimme" n'est pas le dernier à prévenir la population du danger que représente le luthérianisme :
"Catholique lorrains, voyez-vous à présent ce que les adversaires veulent. Après vos cimetières, ils vous prendront vos processions, après vos processions, ils vous prendront vos écoles, après vos écoles, vos églises, après vos églises, votre foi..."
C’est Guillaume II en personne qui contraignit l’évêque à lever l’interdit qui dura 3 mois et par la suite quand on prononça le nom de Fameck devant l’Empereur, celui-ci s’écria : "Ach, der infâme Eck ! Ah, le coin infâme !"
La population s’accommoda tant bien que mal de la situation sauf le curé qui, sur son lit de mort, demanda à être enterré dans son village natal du pays messin car il continuait à croire au sacrilège.