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Heures lorraines

Les loups

Grâce aux contes fables et légendes, notre enfance a été peuplée de loups certes, mais même s'ils étaient dits "dévoreurs d'enfants", n'ayant jamais été confrontés à cette réalité et le loup existant peu dans nos campagnes, nous ne les avons jamais imaginés tels que le récit ci-dessous nous les décrit :

Cela se passe en Bretagne mais aussi dans n'importe quelle région de France et de Lorraine confrontées à la famine, la peste et la guerre.

"Sans asile, en haillons, sans nourriture, la faim, le froid, les maladies enlevaient les paysans par milliers, et les fossés et les chemins ne présentaient que l'affreux spectacle de cadavres à moitié dévorés par les loups, ou de moribonds qui ne pouvaient plus leur disputer un vain reste de vie.

Quant parut cette effroyable fléau des loups, ils commencèrent par dévorer tous les chiens et les troupeaux puis ils se jetèrent sur les hommes. Ils s'accoutumèrent si bien à la chair humaine, que pendant plusieurs années, ils attaquèrent les hommes, même armés, et nul n'osait aller seul par les champs. Ils recherchaient surtout les femmes et les enfants, qu'il fallait enfermer dans les maisons, où ils les venaient dévorer s'ils pouvaient forcer la porte, et l'on vit souvent des femmes sur le seuil même de leur logis, assaillies, même en plein jour, par ces farouches ennemis, qui, poussés par un instinct diabolique, sautaient à la gorge de leurs victimes et les entraînaient sans qu'elles pussent même jeter un cri et appeler au secours.

On dit qu'ils s'acharnaient surtout de préférence sur les femmes enceintes, qu'ils éventraient, en tiraient le fruit, et laissaient la pauvre femme toute palpitante, s'ils n'avaient le loisir de dévorer la mère avec l'enfant. On vit un jour une femme de Kerfeuntum, au terme de sa grossesse, sortant par la porte de Bihan, dont elle était à dix pas à peine, éventrée en plein jour, et son enfant emporté, bien que ce fût un jour de marché et que la route fût pleine de monde."

Les loups des bois, hommes appelés ainsi parce que cannibales - Lorraine

1632 - Pendant la guerre de Trente Ans, en 1632, les souffrances du peuple des campagnes dépassèrent toutes les limites du possible. Ceux qui survécurent délaissèrent toute culture et s'enfuirent au fond des forêts, où ils se virent réduits à une existence d'anthropophages. Il n'y avait absolument rien sur le pays qui pût servir à la nourriture de l'homme, les troupes du roi aussi bien que les garnisons et les habitants des villes ne subsistaient que de blés qu'on y faisait passer de la Champagne sous de fortes escortes.

Quant aux paysans, après avoir dévoré les charognes demi-pourries des animaux abandonnés et morts faute de soins, et avant d'en venir à déterrer les cadavres fraîchement confiés à la terre, comme ils le firent bientôt, on les vit "aller à l'affût pour y prendre et tuer les passants pour s'en nourrir".

On appelait ces déplorables victimes de la guerre, ces cannibales involontaires, schnapans ou loups des bois. La peste survint et commença à Pâques pour ne disparaître qu'au printemps de 1637 ; puis les loups se mirent de la partie, si bien qu'il pérît "plus de six cent mille Lorrains par la famine, la peste, l'épée, la disette, le froid et les dents des bêtes farouches". Dom Calmet

De pareilles souffrances étaient trop grandes pour qu'une pacification pût les faire cesser tout d'un coup : ces malheureux, rendus à la sauvagerie par l'inhumanité des soldats de tous les partis, continuèrent pendant plus de trente ans à répandre la terreur dans la contrée et ce ne fut qu'en les exterminant jusqu'au dernier que l'on parvint à en finir avec eux.

Extrait de l'Histoire des paysans de Eugène Bonnemère