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Heures lorraines

"...Je plains le sort d'un curé de campagne obligé de disputer une gerbe de blé à son malheureux paroissien, de plaider contre lui, d'exiger la dîme des lentilles et des pois, d'être haï et de haïr, de consumer sa misérable vie dans des querelles continuelles, qui avilissent l'âme autant qu'elles l'aigrissent.

Je plains encore davantage le curé à portion congrue, à qui des moines, nommés gros décimateurs, osent donner un salaire de quarante ducats pour aller faire, pendant toute l'année, à deux ou trois milles de sa maison, le jour, la nuit, au soleil, à la pluie, dans les neiges, au milieu des glaces, les fonctions les plus désagréables, et souvent les plus inutiles. Cependant, l'abbé, gros décimateur, boit son vin de Volnay, de Beaune, de Chambertin, mange ses perdrix et ses faisans, dort sur le duvet avec sa voisine, et fait bâtir un palais. La disproportion est trop grande." -Voltaire

La dîme- C'est l'une des principales sources de revenu du clergé rural. Elle est calculée à raison d'un dixième de tous les produits agricoles, des céréales (selon les coutumes, le paysan, au lieu d'une gerbe sur 10, la doit sur 12, 15 ou 20. Mais la dîme porte aussi sur le petit bétail - porcelets et agneaux - sur la laine, sur le vin, le fromage et sur les animaux de basse-cour et d'élevage. Elle s'étend à la pêche. On la lève même sur les mines et les salines. Elle rend le clergé rural très sensible aux variations du rendement agricole.

1710- le manière de prélever la dîme est que, le laboureur ayant lié son champ, il ôte la quinzième gerbe tout du long et la sépare pour la dîme. Le décimateur a droit de prendre ainsi la quinzième gerbe et de commencer à compter à quel bout du champ il trouve à propos. S’il reste des gerbes après chaque fois quinze, on les présente dans un autre champ ; s’il est le dernier, on laisse une partie de gerbe à proportion de ce qui reste. La menue dîme se paye aussi au quinzième et se prend sur le champ mâle et femelle dans la chènevière où on lève la dîme et se cueille ordinairement sur le lin et le millet à volonté.

On distingue les Grosses et Menues dîmes ; les premières sont prélevées sur les gros fruits comme le blé, l’avoine, le foin, l’orge...et ne sont généralement pas recueillies par le curé, les autres sont cultivées dans les jardins clos comme les pois, les fèves et autres légumes mais la plupart du temps ne sont pas toujours dîmées.

L'abbaye de Saint Mansuy de Toul était le plus gros décimateur. Elle percevait par moitié. Le prieuré de Fontenoy recevait le produit des dîmes, cens prélevées dans diverses localités sises dans un rayon de trente kilomètres.C'était un centre de perception et de rassemblement des charrois. Le tout était reversé à l'abbaye de Remiremont qui en gardait la plus grosse part avant, pour finir de les faire parvenir à l'abbaye de Saint Mansuy. Le reste est partagé entre les différents seigneurs, le comte de Fontenoy, le duc d'Havrey, Mme de Mitry par exemple. Ils percevaient les dîmes à Granges, Amerey et les quatre granges qui en dépendaient (certainement le Roulier, La Grange Evon, Les Granges Richard et la Grange du Bois des Chats).

Les dîmes perçues par les seigneurs à Fontenoy n’étaient pas très importantes car le prieuré de St Mansuy en avait la plus grosse partie. Par contre, ils prélevaient des dîmes bien plus considérables dans les villages situés à l’est du comté et qui n’étaient pas sous la juridiction du prieuré.

Les gros décimateurs doivent payer au curé une pension appelée portion congrue, de plus ils doivent prendre à leur charge l’entretien des édifices consacrés au culte.

Tout curé avait droit aux menues dîmes ainsi qu’aux dîmes Novales (dîme des terres nouvellement défrichées).

"Le paulier du curé de Blâmont est venu, au nom de son seigneur et maître, le curé, percevoir la dîme des porcelets du père Mimique. Le propriétaire des petits gorets jurait et tempêtait comme un beau diable, affirmant que le messire prêtre n'aurait pas un seul de ses amours de pourceaux. En effet, la truie du père Mimique n'avait jamais eu d'accointance avec le porc du curé. L'affaire fut portée devant le conseil de la ville, puis devant les Messieurs du bailliage et la sentence fut que le curé ne pourrait prétendre à la dîme des cochons de lait tant qu'il n'aura comme ses prédécesseurs pourvu lui-même à l'entretien de son porc lequel était censé engendrer, bon an mal an, des petits gorets au groin rose, espoirs des familles nombreuses des paysans.

Le curé bénéficiait d'un taureau communal pour lequel le village avait fourni un beau et large pré, le bouvrot, bien-fonds attaché à la cure pour la nourriture de l'animal,d'un champ de pommes de terre pour le porquemal( le mari de la truie) et des pâtis bien gras pour le bélier ou le bouc. Ce curé voulait bien les revenus mais refusait de loger et de nourrir les papas des petits nouveaux-nés.Des bêtes nobles, achetées à la foire par tous les paysans et qu'on laissait au curé afin qu'il veille à bien les nourrir, leur vie durant, pour œuvrer à l’œuvre de vie et donner aux gens, plein leurs étables et leurs réduits, des génisses et des veaux, des brebis et des agnelets, des cochons , encore des cochons....Le curé pouvait prélever un nouveau-né sur chaque portée que son verrat avait engendré auprès des truies fécondes. Quant au bélier, tous les ans à la Saint-Georges, le curé pour le travail de sa bête, reçoit une dîme sur les agneaux et sur la laine des moutons et des brebis. La communauté donnera un bouvrot de prés, chènevières et jardin à celui qui a le taureau à demeure.Cette coutume donnait ainsi des profits et des charges à celui qui vivait seul et sans famille, au milieu des bons paysans, nos ancêtres!

Et dire que le curé de Blâmont avait voulu s'affranchir de cette logée des trois mâles de la communauté, sans néanmoins oublier d'envoyer son bon paulier pour tirer la dîme sur les travaux annuels des trois bêtes parmi les troupeaux de la ville et des alentours!" D'après Emile Badel, Terres Lorraines