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Heures lorraines

Pax romana

Les Germains

...derrière le Rhin s'étend une immense forêt, soixante jours ne suffisent pas pour la traverser. Dans ses profondeurs vivent des animaux étranges, des rennes, des élans, des aurochs. Les fleuves, les rivières qui la sillonnent, l’entrecoupent de lacs et de marais. Vers le nord, le pays devient plus triste encore et plus morne. Les arbres,en s'éclaircissant, découvrent un sol boueux dont les marécages se confondent insensiblement avec les flots. Enfin apparaît l'océan germanique : sous un ciel lourd de nuages, une mer orageuse s'enfonce dans les terres humides et dans les profonds estuaires des fleuves : elle jette les navires sur des îles abruptes ou sur des bancs de sable cachés. Tacite

"Jamais peuple n'a été plus jaloux de sa liberté et ne l'a plus longtemps et plus heureusement défendue que les Germains. On peut même dire que cette liberté, chassée de tout l'univers par les Romains, s'était réfugiée au-delà du Rhin, où elle avait pour compagnes et pour gardiennes, la pauvreté, l'innocence, la frugalité, la pudeur. C'est dans l'enceinte de ces forêts et de ces marécages, que, tantôt attaquée et tantôt faisant de courageuses sorties, elle combattit durant cinq cent ans la tyrannie, l'ambition, le luxe, les voluptés, la flatterie et les divisions qui enchaînent les peuples."

→ Les Germains au quotidien

La Germanie est en marche : ils arrivent avec leurs familles, leurs chariots, leurs trésors et comme une mer en furie, leurs masses viennent battre les frontières convoitées de la Gaule. Leur sol trop ingrat, trop étroit, n’assure plus leur subsistance et ces nations à la taille gigantesque, coiffées de mufles de bêtes, poussant des rugissements de fauves se lancent à l’attaque de cette forteresse qu’est le Rhin et du rempart que sont les Vosges. A ces attaques furieuses doivent répondre de vaillantes défenses.

Les Romains les appellent Germains parce que les voyant semblables aux Gaulois de chevelure, de stature, de figure et d’usages, ils les croient frères germains. Ils ont sans doute raison.

Les Germains sont persuadés que la Gaule était la patrie de leurs ancêtres et qu’ils avaient dû en partir en 587 avant J.C pour, sous la conduite de Sigovèse, coloniser, à la tête de puissantes armées, les contrées voisines. La mère-patrie laissa échapper de son sein de nombreux et formidables essaims mais l'esprit de retour ne les quitta jamais : tout ce qu'ils entreprenaient les menaient vers les bords du Rhin, au voisinage de la Gaule. En conquérant les Gaules, ils ne font que rentrer dans la patrie de leurs ancêtres comme s'ils obéissaient à une impulsion secrète, semblable à celle qui ramène l'abeille à la ruche mère.

"Ambigat, roi des Celtes, vers 600 avant J.C règne sur l'actuelle France et la Flandre. Bourges est la capitale de ses états. Son peuple est si nombreux que les provinces en sont surchargées. Il envoie Sigovèse et Bellovèse, fils de sa soeur, établir des colonies dans les pays où les dieux et les augures les conduiraient. Trois cent mille de ses sujets suivent ces jeunes princes. Bellovèse franchit les Alpes et s'établit le long des rives du Po. Sigovèse traverse la forêt Hercinie et entre en Bohème. Il laisse une partie de son armée et termine sa course entre l'Elbe et la Weser sur les bords de l'Océan." - Dom Calmet - Histoire civile de la Lorraine

Les tribus gauloises accourent de toutes parts au signal des feux allumés sur les cimes voisines. On assiste alors aux attaques de jour, aux surprises de nuit, aux combats corps à corps à coups de hache ou de framée. Les druides se jettent dans la mêlée, l’ennemi farouche est repoussé, rejeté de pente en pente, de ravin en ravin, détruit, anéanti dans les fonds ténébreux. Puis se célèbrent les fêtes de la victoire et dans la forêt retentissent des cris d’allégresse et les chants de joie des vainqueurs.

Aussitôt qu'il arrive quelque chose d'extraordinaire dans les Gaules, ses habitants s'en avertissent par des cris redoublés qui sont entendus d'un lieu à l'autre, si bien que ce qu'on avait fait à Orléans au lever du soleil fut connu vers huit ou neuf heures du soir en Auvergne... les Gaulois allument des feux sur les montagnes et par le nombre de feux et l'épaisseur de leur fumée, ils donnent des avis plus vite que des oiseaux. Commentaires de César

En 110 avant notre ère, les Cimbres et les Teutons franchissent le Rhin : les peuples de la Moselle et de la Meuse sont assez unis et assez forts pour écarter l’invasion. César, dans la première page de ses Commentaires, rend hommage à la « vaillance de ces Belges, voisins des peuples de Germanie et toujours en guerre avec eux. »

Combien de combats, de victoires dont on n’a pas trace ? Mais ce dont les Gaulois ne se doutent pas, c’est qu’un adversaire plus terrible encore s’apprête à envahir la vieille forêt gauloise.

En 58 avant l’ère chrétienne, les Gaulois, effrayés à l’approche d’une horde germanique que commandait Arioviste implorent le secours des Romains. Jules César accueille avec empressement cette demande car elle rentre dans ses projets de conquête.

Les Leuques du pays de Toul, s’ils entendent le bruit des armes, restent étrangers à la lutte au moment de la conquête romaine. De concert avec les Lingons, les Leuques approvisionnent l’armée de César combattant contre Arioviste. On sait en effet que la grande préoccupation de César est de nourrir ses armées. Les Séquanes en Franche-Comté, les Leuques des environs de Toul, les Lingons des environs de Langres se livrent à l’agriculture et peuvent nourrir ses soldats, lesquels soldats déposent les armes et sont contraints de moissonner.

Après la campagne de 53, la Gaule entière est tranquille et apaisée ; deux légions prennent leurs quartiers d’hiver sur la Meuse et la Moselle surveillant la frontière de Germanie et les retraites d’Ambiorix. Des voies militaires romaines, les chemins de pierre, traversent les Vosges par les cols de Saverne, du Donon, de Saales, du Bonhomme, de Bussang. Mais la question de la défense de la région montagneuse ne se pose pas alors : les grandes forêts vosgiennes en friche, aux abords difficiles et les marais, ce monde étrange empli de la magie des Déesses Mères reste encore le meilleur rempart contre les invasions.

La conquête romaine est faite. Ni Leuques ni Lingons ne résistent à César. Les Germains sont défaits mais César conserve le pays qu'il avait protégé. Dès ce moment, les Leuques reconnaissants du service rendu demeurent fidèles aux Romains, heureux de trouver un contrepoids à l’éternel envahisseur d’Outre-Rhin. Ils refusent de prendre part aux entreprises diverses qui sont tentées par les chefs gaulois pour reconquérir l’indépendance de leur patrie. Aucun appel, ni celui d’Ambiorix, ni même celui de Vercingétorix ne les détachent de l’Empire. En récompense, leur territoire et ses habitants jouissent du titre de peuples libres et de cités fédérés ( ils ne sont pas soumis à la juridiction du gouverneur de la Province dont relève la civitas). Ils conservent les anciennes lois, échappent au paiement du tribut et payent seulement les redevances en terres, en argent et en hommes communes à toutes les civitates.

La paix romaine

Si la noblesse belge perd son hégémonie politique, elle garde le premier rang dans la société. Quant à la masse de population, elle ne fait en somme que changer de maîtres.

"Toul se trouvait dans la même configuration que Metz à qui César laissa son ancienne forme gouvernementale, sa magistrature, son Sénat électif. Il établit seulement une administration militaire ayant pour chef un gouverneur, autorité mixte tenant de la robe et de l'épée, commandant les troupes, administrant les finances, la justice et chargé de consolider les éléments de la conquête. Dans les villes, on parle le latin mais indépendamment de la langue latine, le peuple parlait un idiome qui, au témoignage de Saint Jérôme, avait survécu à la révolution qui avait romanisé les Gaules." Trolong

Pline dit des Leuques qu’il ne faut pas se fier au fait qu'ils ont très peu résisté à la conquête de César car leur force et l’indépendance sauvage de leurs mœurs demandent une grande prudence au vainqueur qui a tout intérêt à ménager ce peuple.

C'en est fait... au moins pour un temps assez long, des discordes civiles, des guerres de peuple à peuple, des invasions étrangères : le pays jouit d'une tranquillité parfaite, aussi favorable à sa prospérité matérielle qu'à son développement intellectuel et moral. Le pouvoir appartient à la classe des grands ou des moyens propriétaires, formée surtout des anciens chevaliers. On assiste à l'émergence d'une classe moyenne celle des petits commerçants et des maîtres artisans. Les Romains ne fondent dans les Vosges aucune ville exceptée Luxeuil.

"Point de villes, quelques bourgades, quelques défrichements éloignés les uns des autres, trois ou quatre voies sillonnant d'immenses forêts : voilà l'œuvre des Romains dans les Vosges." Digot

En cette terre des Leuques qui, dès la première heure, accueillirent l’envahisseur comme un appui contre les barbares d’Outre-Rhin, si grande fut la prospérité romaine pendant plusieurs siècles qu’il en est resté un souvenir impérissable.

Il ne subsiste plus guère de classe moyenne intermédiaire entre l'aristocratie des grands propriétaires fonciers et la plèbe. L'extrème misère voisine avec l'extrème pauvreté, les grandes villas étalent le luxe de leurs bâtiments ; à côté d'elles, les communs où s'entasse la population servile ou demi-servile des paysans se distinguent difficilement des étables pour les bêtes. A.Grenier

Les Belges, en quelque sorte devenus Romains, méprisent tout ce qui sert à leur rappeler d’une façon humiliante leur férocité primitive. Rome, pour ne rien faire à demi, les engage à se servir du latin et se conduisit en cela d’une manière si captieuse, dit Saint Augustin, que tout le monde aurait cru qu’elle agissait par un principe d’union bien qu’elle n'ait agi qu’en vue d’affermir sa domination. L'influence romaine a été décisive et dans les remous des invasions, la Lorraine actuelle a toujours échappé à l'attraction germanique.

→ Eponine

De 70 à 257 après J.C les Leuques vont jouir d'une tranquillité profonde mais l'indépendance de la Gaule n'est plus qu'un souvenir et les forêts qui furent ses temples, ses asiles voient leurs profondeurs mystérieuses violées par les vainqueurs. Des routes les sillonnent, des percées les éventrent, des postes permanents s'établissent. La nature commence à reculer devant les premiers assauts de la civilisation.