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Heures lorraines

Condition des serfs

  • Le colonat et l'origine du servage

Sous Rome existe le colonat : à l'origine, il désigne la situation d'un fermier libre, c'est-à-dire un locataire ou un métayer, cultivant en vertu d'un bail, moyennant une redevance en argent ou en fruits. Quand la durée du bail prend fin, le locataire est libre de se retirer. Les fermiers ne sont pas attachés au sol et le seul lien qui les unit au propriétaire est un contrat de louage.

  • Attachement obligatoire à la terre : nouvelle classe de paysans

Puis la vie dans les villes devenant insupportable, beaucoup la quittent pour retourner à la campagne. Rompant leur contrat, ils fuient, désertent leur emploi et on les retrouve cachés dans quelque domaine dont un puissant patron leur a secrètement ouvert l'accès. Ils se mêlent aux ouvriers et aux esclaves qui cultivent le domaine. Pressés d'effacer leur origine, de faire oublier leur rang, ils épousent des filles de la plus basse condition. La loi n'ignore pas ce qui se passe et elle ordonne de ramener l'homme et sa famille en ville et de lui faire réintégrer sa corporation ou sa curie. Mais cela n'a pas d'effet et ils restent au service des grands propriétaires, intéressés à repeupler leurs domaines et à soustraire les réfractaires aux poursuites.

Une petite maison, un lot de terre à exploiter moyennant une redevance, leur sont assignés : ils vivent côte à côte avec des fermiers d'origine libre mais dépendant d'un bail perpétuel qui les empêchent de quitter le fonds qu'ils cultivent, avec -- d'anciens esclaves affranchis avec la condition de continuer de père en fils leurs services agricoles, -- de petits propriétaires accablés de dettes et d'impôts qui avaient cédé leurs champs à un riche voisin : tous ces gens sont venus chercher sur les terres d'autrui les moyens d'échapper à la misère et la possibilité de fonder une famille.

On leur ajoute ceux que l'Etat a assigné d'office aux domaines manquant de cultivateurs et les captifs barbares. Ainsi se crée une nouvelle classe de paysans ; une jouissance perpétuelle et héréditaire de la concession leur est assurée mais en revanche, on leur interdit de cesser d'exploiter leur terre et de quitter le domaine : leurs fils et leurs gendres doivent y demeurer dans les mêmes conditions qu'eux. Ils conservent tous les droits civils: ils peuvent se marier, posséder, transmettre et recevoir, ester en justice.

  • Les pouvoirs du maître du domaine

Leur maître ou seigneur fait sentir son autorité en trois circonstances : il choisit librement parmi eux le contingent de conscrits que le domaine doit fournir à l'Etat, son autorisation est nécessaire pour qu'ils puissent aliéner les biens meubles et immeubles qu'ils possèdent en propre et il exerce une sorte de basse justice. Il a le droit de leur infliger des peines légères sans recourir au représentant du pouvoir central. Ainsi il pouvait punir avec modération le colon qui avait épousé une femme libre, frustrant ainsi le domaine des services des enfants à naître du mariage. Il était même obligé de faire donner la bastonnade à des colons qui auraient assisté à des réunions d'hérétiques.

Le domaine ainsi peuplé se divise naturellement en deux parties : l'une, composée de terres concédées, est exploitée par les colons ; l'autre, formant la réserve du propriétaire, est cultivée par lui-même.

  • Le servage de la glèbe

Dans la seconde moitié du IVème siècle, le législateur se préoccupe d'assurer aux campagnes une population servile vraiment stable. Une loi interdit de vendre les esclaves ruraux sans la terre cultivée par eux. Dès lors la population servile se trouve divisée en deux catégories : il y a les esclaves domestiques qui restent aliénables au gré du maître et continuent à être rangés parmi les meubles et il y a les esclaves inscrits sur les registres du cens comme attachés à la culture d'une terre, lesquels ne peuvent en être détachés et deviennent immeubles par destination. D'un côté, il y a l'esclavage personnel, de l'autre le servage de la glèbe. Ces deux états coexistent longtemps.

Pour exemple, un des innombrables domaines de sainte Mélanie la Jeune, qui, outre la maison seigneuriale et les réserves dont celle-ci était entourée, comprenait soixante métairies ou tenures, exploitées par quatre cents serfs moyennant un cens ou une redevance. Il faut ajouter à ce chiffre les femmes et les enfants soit tripler ou quadrupler la population. On assiste à l'émergence de très gros villages dont la population est stable et qui pouvait devenir prospère.

Par le servage, à la différence de l'esclavage, les hommes s'élèvent d'un échelon et forment une population intermédiaire entre les esclaves et les derniers des hommes libres. Les serf travaillent isolèment sur un lot de terre (tenure) et peuvent en récolter les profits selon des conditions déterminées. Ils cultivent la terre de père en fils ; placés chacun sur un lot distinct, ils ne peuvent ni être vendus, ni séparés de leur terre, et n'ont d'autre obligation que de rendre au maître une forte partie de la récolte. Par leur condition sociale, ils sont esclaves mais par leur condition héréditaire, ils sont tenanciers du sol. Cette formule arrange tout le monde : sachant qu'il peut la transmettre à ses enfants, le serf entretient la tenure et la fait évoluer d'où des profits qui augmentent pour le maître et aussi pour le serf.

  • Les serfs sous les Mérovingiens et Capétiens

En même temps que les Barbares ont des serfs qui cultivent leurs terres moitié au profit du maître et moitié à leur profit personnel, ils s'entourent d'innombrables esclaves. Quand ils sortent, les nobles francs ou leurs femmes s'avancent à cheval, étincelants de pierreries, précédés et suivis de troupes d'esclaves. Les Germains connaissent des besoins dont ils avaient jusque là ignoré l'existence et font servir une foule d'esclaves à leur mollesse ou à leur vanité. Au VIIè siècle, les esclaves, domestiques ou ruraux, constituent une portion considérable des fortunes mobilières. En même temps, les guerres continuelles en versent de grandes multitudes sur le marché. En 500, les Burgondes, commandés par leur roi Sigismond, réduisent en captivité trois mille habitants d'une ville fortifiée du Limousin.

L'esclave régi par les lois barbares est beaucoup moins bien traité que l'esclave dont le sort était régi par les lois de Constantin, Théodose et Justinien. Son mariage est entouré de plus d'entraves, le droit de vie et de mort s'exerce à nouveau librement, assortis de cruels supplices. Enfermer, quant au mariage, chacun dans sa classe, sans lui permettre d'en sortir en s'alliant avec une personne au-dessus ou au-dessous de sa condition, est une tendance qui se rencontre chez tous les peuples germains. L'union des femmes libres avec leurs serviteurs est sévèrement punie. Si un affranchi épouse une esclave, il devient esclave. Le prodigue qui, en dissipant ses biens, se met hors d'état de payer les amendes devient serf, pour toujours ou un temps, suivant le montant de l'amende.

Entre les colons et les serfs, il n'y a bientôt plus de différence.

  • Les serfs et l'église

L'Eglise est propriétaire de vastes territoires auxquels sont attachés les esclaves employés à la culture. En ces temps, les paiements pour permettre à l'église de mener à bien sa mission civilisatrice et religieuse, se font souvent en biens immobiliers. Or les esclaves sont inséparables des biens immeubles qu'ils cultivent. De là l'existence de nombreux serfs sur les domaines de l'Eglise. Les religieux n'ont pas d'esclaves personnels mais ils ne peuvent chasser de leurs domaines les serfs qui en sont la richesse et en forment la population naturelle : les affranchir totalement et brusquement risque de compromettre la rénovation de la culture que les moines avaient entreprise et qui demande avant tout des ouvriers fixés au sol. L'Eglise adversaire constant de l'esclavage, devient par la force des choses, propriétaire de serfs ; mais,usant de son influence, elle obtient, pour les cultivateurs de ses domaines, une position privilégiée.

Ceux-ci vont bénéficier de nombreux avantages : ils sont à l'abri des exactions arbitraires, ils ne doivent qu'un cens invariable lequel ne peut être arbitrairement modifié. Leur tenure fait l'objet d'une concession écrite qu'ils conservent comme un titre de propriété qui leur donneront un statut de propriétaire, les autorisant à transmettre par succession. Ils peuvent se défendre eux-mêmes en justice et prêter serment. Ils peuvent disposer librement de leur pécule mobilier : avec l'autorisation du roi, ils peuvent vendre leurs immeubles et affranchir leurs manses.

La loi canonique interdit de vendre les biens de l'Eglise, car ce qui est entre ses mains n'est qu'un dépôt qu'il faut transmettre intact à ses successeurs. Aucun évêque ne peut vendre les immeubles, les esclaves et les meubles de l'Eglise qui sont le "bien des pauvres". Cette loi qui est d'un grand bienfait pour les serfs peut aussi être un obstacle à leur affranchissement mais les évêques ont aussi un patrimoine personnel dont ils disposent à leur gré et ils ne se privent pas d'affranchir les esclaves et serfs qui sont leurs biens propres.

La seule concession que la loi leur permet est le transfert d'un serf d'un de leurs domaines sur un autre, si les besoins de l'exploitation rendent cette mesure nécessaire. Saint Rémi, après avoir acheté, au nom de l'Eglise de Reims, une vaste forêt dans les Vosges, tire d'une villa voisine, appartenant également à cette Eglise, des hommes qu'il établit sur la propriété nouvelle, afin qu'ils la mettent en valeur : il leur assigne des tenures séparées, des manses, et leur impose comme redevance, de fournir de poix et de résine, produit naturel de cette région forestière, les établissements religieux dépendant de l'évêché de Reims.

Donc les serviteurs de l'Eglise constituent une classe intermédiaire entre les esclaves ordinaires et les hommes libres. De plus en plus, on aspire à passer sous le joug ecclésiastique.

  • Les moines défricheurs

Cependant, les concessions données à l'Eglise sont souvent des terres envahies par la végétation, des plateaux couverts de ruines, des landes incultes ou des forêts. Les nouveaux propriétaires sont obligés à faire deux choses : rassembler des travailleurs et donner l'exemple du travail. Les moines travaillent de leurs mains. Ils doivent, suivant la règle de saint Colomban, ne se mettre au lit,le soir, que brisés de fatigue, se relever le matin avant d'avoir pu reposer entiérement leurs membres, porter toujours une serpe à la ceinture en signe de cette mission de défricheurs de l'Europe.

Pour les aider dans leur tâche, ils recrutent en premier une population de cultivateurs libres et ils ne recourent aux serfs que pour combler les lacunes de celle-ci. En résumé, les avantages sont : la douceur plus grande de la domination ecclésiastique - la fixité plus assurée des charges et des redevances - une protection plus efficace contre les exactions et les violences - et surtout la fixité de la résidence, la certitude pour le serf de ne pouvoir être séparé de la tenure qu'il cultive et où il habite avec sa famille.

Colons ou serfs, la situation des tenanciers de l'Eglise, réglée une fois, ne change plus. Les serfs savent sur quoi compter et les moines n'ont pas besoin de faire d'exaction : leurs richesses sont plus que suffisantes pour leurs besoins. Les seigneurs laïques, ayant des guerres privées à soutenir, des compositions à payer, une suite nombreuse de clients et de gardes à nourrir et souvent tous les caprices de la débauche et du luxe à satisfaire, doivent tourmenter leurs colons et leurs serfs par des impôts plus irréguliers et plus vexatoires.

  • situation des affranchis de l'Eglise

L'affranchi doit au patron fidélité, respect, déférence : il ne peut pas plaider ou intenter contre lui une accusation de crime. La succession de l'affranchi est dévolue au patron si l'affranchi meurt sans héritiers directs. Le patron reçoit un impôt sur le travail de son affranchi que celui-ci paye soit en travail effectif, soit en redevances d'argent ou en nature. La femme libre qui épouse un affranchi devient une affranchie. La situation d'affranchi se transmet. L'ingratitude est punie par la perte de la liberté.

  • le manse ou tenure

Il correspond à une parcelle agricole suffisamment importante pour nourrir une famille. C'est l'unité de base d'une villa qui peut être composée d'un ou plusieurs manses. Il y a trois sortes de manses : manses ingénuiles (propriétaire libre), manses d'affranchis (lidiles) et manses de serfs.

Le colon tient du serf en ce qu'il ne peut quitter le manse auquel il est attaché : il en fait tellement partie que, si celui-ci est donné ou vendu, lui-même suit la terre et est donné ou vendu avec elle. Dans les titres de cette époque, on voit des villages entiers cédés avec les familles qui les habitaient. Il tient du libre en ce qu'il jouit perpétuellement du manse qui lui a été confié et en transmet toujours la jouissance à ses héritiers. C'est parmi les colons que sont choisis habituellement les maires ou administrateurs des villas.

Au dessous des colons, viennent les lides. Leur condition est inférieure à celle des colons, supérieure à celle des serfs. Comme les premiers, ils peuvent, indépendamment de leurs tenures, avoir des propriétés personnelles qui ne sont pas comme le pécule de l'esclave subordonné au bon plaisir du patron. Comme eux encore, ils paraissent avoir la jouissance perpétuelle et la transmission héréditaires de leurs tenures. Mais ils sont plus dépendants du maître et lui sont plus directement assujettis. Leur situation peut être comparée à celle des affranchis et de ses devoirs envers le patron. Le colon, lui, est attaché à la terre plutôt qu'à un maître.

Le serf, à son tour, ressemble au colon et au lide en ce qu'il n'a, comme eux, d'autre obligation que de payer les redevances et d'exécuter les corvées auxquelles son manse est imposé. Les biens qu'il peut acquérir ne sont qu'un pécule, c'est-à-dire une propriété subordonnée au bon plaisir du maître, un esclave, en droit strict, ne pouvant posséder.Par la fixité des redevances et des corvées, sa condition se rapproche de celle du lide.

  • les tenures serviles

Des propriétaires de petits domaines, de petits lambeaux de terre encore libres se trouvèrent réduits à l'obligation d'aliéner leur liberté pour vivre en sûreté et ne pas mourir de faim. Ils se mettent sous la protection des grands. Ils passent de l'état d'hommes libres à celui de serfs.

La tenure de ces anciens hommes libres peut être une sorte de viager.

La coutume ne permet au seigneur à la leur enlever que pour des motifs graves, par exemple, quand ils se marient en dehors de la seigneurie ou avec une femme libre, etc. En dehors de ces cas, ils jouissent de la tenure leur vie durant mais à la condition de payer régulièrement les redevances qu'ils doivent soit le cens et les rentes. Quand ce serf meurt, tous ses biens et par conséquent la tenure revient au seigneur, mais reste la possibilité aux héritiers de la racheter. C'était tout l'intérêt du seigneur de relouer la tenure car autrement, il ne percevrait plus de redevance, c'est pour cette raison qu'on appelait ces tenures mainmortables.

Puis il y a la tenure servile des anciens esclaves élevés au rang de serf.

Une fois la tenure servile instituée, elle restait même si elle n'était pas tenue par un serf.

Un roturier pouvait la posséder toujours en payant les redevances. Par exemple, un manse, originairement tenu par un homme libre peut maintenant être occupé et cultivé par une famille, composée d'un mari serf, d'une femme colone soit de deux crans supérieurs non seulement à la condition du serf mais aussi du lide. Ces mariages inégaux sont nombreux et les règles jadis si sévères sur les unions d'esclaves ont perdu de leur vigueur. Si bien que les enfants nés de ce mariage serf et colon, peuvent avoir un statut intermédiaire, de lide par exemple. Tous les droits de la famille sont rétablis grâce à la révolution morale du christianisme.

Un seigneur pouvait même tenir servilement une terre, c'est ce qui arrivait lorsqu'il héritait d'une mainmortable qui avait des tenures dans une autre seigneurie. Il s'acquittait alors des redevances comme le serf l'aurait fait.

A charge pour la tenure d'évoluer vers la propriété pure et simple.

Les pouvoirs du seigneur se précisent, aux Xème et XIème siècles, par la confirmation de deux droits essentiels :

  • le droit du ban : le droit d'ordonner et de punir sur un territoire nettement délimité. Le terme de ban sert à désigner, par la suite, le territoire même de la seigneurie.

  • le droit de justice que le seigneur exerce par l'intermédiaire du maire et des échevins de la localité.