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Heures lorraines

Portrait de Demenge

Ses vêtements

Il est coiffé d'un vieux bonnet de toile tout chiffonné, posé sur une chevelure hirsute, ébouriffée qu'il ne peigne qu'avec ses doigts ou d'une cape à capuchon qui protège mieux du soleil et des pluies. Pour tout costume, il porte une cotte en drap, sorte de tunique serrée par une ceinture ou une ficelle. En hiver seulement un surcot, manteau passé sur la cotte et tombant à mi-jambe. Il va pieds nus : il réserve pour les jours de fête ses souliers de cuir haut lacés, car le sabot n'est pas encore entré dans les coutumes.

Sa femme besogne à ses côtés ainsi que les enfants qui sont en âge. Elle aussi est revêtue de la traditionnelle cotte, sauf que plus longue. Il faudra attendre le XVe siècle avant que la paysanne connaisse la chemisette.

Son quotidien

Il ne compte que par saison. Les jours n'ont pas de numéros mais des noms de saints. Il ne prend le temps de souffler que pour boire à sa gourde en peau de chèvre, de l'eau bien sûr, et, à la mi-journée, croquer un gros croûton de pain frotté d'ail et accompagné de lard et d'oignon. Il ne s'arrête que pour faire ses prières quand les cloches des villages sonnent.

Il moissonne ; il fauche à la faucille ; il trime de l'aube au crépuscule ; il exécute tous les travaux à la main ; il est souvent trop pauvre pour avoir des bêtes de trait donc il laboure à la bêche. Il passe quasiment toutes ses heures courbé, les reins cassés, au-dessus de sa glèbe.

Il rentre à pied avec femme et enfants, eux aussi sans chaussures. Son vieux père a gardé durant la journée les quelques chèvres de la famille. La mère a vaqué aux soins du cochon et de la volaille.

Sa demeure

La demeure se limite à une grande pièce unique à plancher en terre battue. Toute la famille s'amasse là. La salle commune est le lieu où l'on dort, où l'on prépare les repas, où l'on mange, où l'on tricote, où l'on reçoit ses voisins et cousins. Il n'y a pas de cheminée. On allume le feu au milieu de la pièce, la fumée s'échappant par un orifice aménagé dans le toit. Comme mobilier, une paillasse qui sert de lit, le buffet, la table à manger, le banc au foyer, les huches. Les deux couples, le vieux et le jeune, dorment dans le lit ; les enfants sur des tas de paille. Le sexe se pratique dans la grange ou dans la nature.

Sous le toit familial, les animaux vivent avec les humains. Le cochon se promène librement. Une caisse à hauteur de plafond sert de cage à poules, une petite échelle permettant d'y accéder. Une telle cohabitation ne gêne pas : en hiver, la présence des bêtes, surtout si la famille a un mulet ou une vache, est une source inestimable de chaleur. Seul inconvénient : les mouches pullulent. A nuées. Le bourdonnement est perpétuel. On ne connaît aucun moyen de s'en libérer.

Ses ustensiles

Comme ustensiles : des chenets - la poêle de cuisine- les pots- la louche- le gril- un petit moulin- un chaudron pour les fèves- un pour les herbes- un avec trépied en fer pour la lessive- une bassine où on lave les fèves avant de les mettre au feu- une pour l'eau chaude qui permet de mieux se raser- les pelles pour couvrir de cendres le foyer avant de s'en aller dormir- des pincettes pour la braise- des gants ou des "poignées" pour protéger les mains quand il faut retirer du feu le chaudron ou la cocotte- une pierre à aiguiser- un coutelas pour couper le lard ou le jambon- quelques petits récipients où fondre la graisse- une boîte à sel- la cruche à eau- des balais- des morceaux de tissu spongieux pour le lavage des écuelles et des chaudrons- des escabeaux à défaut de chaises- la barre où sont suspendus les chaudrons- l'inévitable soufflet pour attiser le fer- un éventail d'osier pour l'éventer- les écuelles en bois.

Instruments posés ci et là : le ciseau- la tarière- les engins de pêche pour l'étang. On n'a pas de pendule. L'heure de l'aube est celle du coq. Les heures du jour sont données par la cloche de l'église, au rythme de l'horloge du sacristain.

Ses repas

A l'heure du souper, on s'assied autour du feu. A la louche, les femmes puisent dans le chaudron pour remplir les écuelles. Au souper, on a la soupe, souvent de fèves, enrichie de vieux lard ou soupe de pois. Du pain de seigle, volontiers trempé dans la soupe, des fruits de la forêt, des légumes tirés du petit potager, oignons, ail, poireaux qu'on sert crus ; des œufs, beaucoup d'œufs dont les préférés sont farcis. Le persil est inévitable. On ne voit jamais la moindre côtelette de bœuf. La seule viande coutumière est le porc - sauf que les porcs médiévaux sont beaucoup plus petits, plus velus et moins dodus qu'ils ne le seront plus tard. Même la volaille est un luxe.

Le travail des femmes

Les femmes sont les seules à s'occuper des bêtes. Ce sont même elles qui, afin d'assurer les repas de l'étable et de la basse-cour, parcourent les champs pour amasser de lourds fardeaux de fourrage sauvage ou d'herbes à grains qu'elles portent en équilibre sur leur tête. Elles entretiennent le feu sous le chaudron où cuit la pâtée. Elles soignent la volaille. Elles mènent les brebis sur les éteules. Elles présentent le jeune veau à sa mère pour la tétée. Elles traitent les vaches. Elles confectionnent les beurres et les fromages. Elles fouillent les bois pour la cueillette des cèpes, des oronges ou des morilles. Elles manient la faucille, la bêche, la binette et la tranche où elles s'égalent aux mâles. L'hiver elles apprêtent le cochon, le mettent au saloir ou sous la graisse. Elles confisent les oies les mieux gavées : le plus modeste ménage s'en réserve deux de son troupeau pour l'assaisonnement de la soupe. Elles filent la laine, elles vont à la rivière laver le linge au battoir, elles confectionnent aux Rameaux les couronnes de buis pour les tombes de la famille...

La vie en communauté

La sociabilité commune ne s'exerce que par la forge, le moulin, la fontaine et l'église. Les hommes vont palabrer chez le forgeron, ce sont les femmes qui portent au moulin le grain à moudre : elles en profitent pour parler comme à la fontaine en attendant leur tour. Il y a aussi les veillées funèbres qui durent toute la nuit et assez vite, la communauté se renforce. Les familles se rapprochent. Le village tend à avoir un certain sens même s'il n'existe pas encore réellement.

Il n’existait pas de nom de famille ; c’est seulement au milieu du Moyen-âge qu’ils se forment. Il n’y en avait pas plus pour le noble que pour le bourgeois ou le vilain. Il y avait un nom de baptême, un prénom. Si les bourgeois et les vilains se distinguaient les uns des autres par des surnoms et des sobriquets qui devinrent plus tard des noms de famille, les nobles avaient pour cela leurs titres, fiefs, terre. C’était le nom de la terre, de la ville qui, seule, permettait de les distinguer les uns des autres.

Le rythme des cultures

Le paysan est à jamais attaché à la même parcelle, la sienne. Il ne fait pas que cultiver une terre : il ensemence et moissonne sa terre. La rotation est triennale : le champ est cultivé en céréales la première année, puis en légumes la deuxième année avant d'être laissé en jachère la troisième année. Seul un champ sur trois restait improductif et la culture des légumes enrichissait la terre. Le paysan pouvait vendre ses excédents et améliorer sa condition précaire. Il obtient des revenus en vendant au marché les produits qu'il ne consomme pas.