Heures lorraines
A cause de ses positions politiques, le règne de ce prince est le plus critiqué de l'histoire de la Lorraine. Il est mêlé à des intrigues en tous genres (se reporter au récit de la guerre de Trente Ans pour plus de détails sur le déroulement des faits).
Il cède en 1661 son duché à la France, tente plusieurs fois de le reconquérir sans grand succès et le perd définitivement en 1670.
De 1697 à 1766, la politique française se résigne à laisser à la Lorraine une apparence d'indépendance en les soumettant à une surveillance étroite et en ne leur permettant d'avoir ni armée, ni places-fortes. Comme du reste, l'Alsace et la Franche-Comté sont devenues françaises, que le territoire des Trois Evêchés s'est agrandi vers le nord grâce à diverses annexions sur l'Allemagne et le Luxembourg, la Lorraine et le Bar sont entièrement enveloppés par les possessions françaises, dominés par les grandes places de guerre où la France entretient de nombreuses garnisons.
Jamais un peuple n'a plus souffert pour défendre ses libertés ; jamais vainqueur ne fut plus impitoyable. Car le roi de France finit par écraser de sa puissance énorme le petit peuple de Lorraine ; le roi vainquit. Et, pendant la lutte, comme après la victoire, le roi n'épargna aux Lorrains ni les douleurs, ni les humiliations. Il n'eut pour leur vaillance digne des âges héroïques que colère et rancune. - La Mothe-Saint-Nicolas, 1697
Mémoires du comte de Rochefort, 1668 : "Ce fut véritable divertissement de voir l'arrivée du ban de la noblesse de Lorraine. Si l'on n'avait connu que c'étaient des gentilhommes, on les eût pris plutôt pour des gardeurs de pourceaux; ils avaient beau s'empanacher, ils étaient ridicules avec leurs plumes."
Le duc Charles V est en exil. Il s'est réfugié en Autriche. Le 30 octobre 1697 est signé le traité de Ryswick, traité de paix qui autorise les ducs à venir en Lorraine et à régner sur la terre de leurs ancêtres. Charles V meurt en 1690 et c'est son fils Léopold qui lui succède.
Il est considéré comme un des plus grands princes qui aient régné sur la Lorraine. Il est né en Pologne à Lwov en 1677.
Son gouvernement est sage, paternel et ferme. Dès le début de son règne, il s'emploie à garder la Lorraine dans une complète neutralité et le bonheur de ses sujets l'occupe par dessus tout. Il doit réparer les désastres des derniers soixante-dix ans. Il rend des ordonnances sur toutes sortes de matières : affermissement de la religion, de la morale, de l'ordre et de la tranquillité, amélioration de la condition du peuple, allègement des charges publiques, soulagement des pauvres, embellissement et assainissement des villes et bourgs, création et entretien des grandes routes, protection et extension de l'agriculture, du commerce et de l'industrie et expulsion du vagabondage et de la mendicité.
Il décharge le peuple du logement des gens de guerre, des quartiers d'hiver, des fournitures de fourrage, milices, convois et autres impositions extraordinaires dont ils sont accablés.
Il permet aux gens de toute profession, sauf les chirurgiens apothicaires et orfèvres, de tenir une boutique et d'y travailler cinq ans sans être obligés de passer par l'apprentissage à part soumettre leurs ouvrages à l'inspection des maîtres jurés des corps de métier. Il incite par des exemptions de taxe et de franchises pendant un an, des manoeuvres et laboureurs d'états étrangers à prendre domicile dans le duché. Il étend l'exemption à trois ans pour ceux qui construiront de nouvelles maisons ou qui rétabliront les masures, pourvu qu'ils donnent à ces bâtisses la solidité nécessaire. Pour aider les vignerons, il interdit l'importation de vins étrangers sur le territoire de la Lorraine. Enfin, le braconnage, devenu un réel fléau, est sévèrement réprimandé.
Il établit des greniers d'abondance où l'on met en réserve le surplus de bonnes récoltes pour fournir aux Lorrains, pendant les années de famine, les vivres qui leur sont nécessaires.
Il habite Lunéville où il fait construire un palais sur le modèle de Versailles : il y attire tout ce que la Lorraine compte d'illustre dans les sciences et les arts. Il meurt en 1729 laissant la régence à sa femme Elisabeth-Charlotte d'Orléans et le trône à son fils François III qui ne sut ou plutôt ne voulut pas le conserver.
Malgré ses défauts et son goût pour la dépense, Léopold fut aimé des Lorrains.
Le duc Léopold se promenant dans la campagne, pris d'un certain besoin, s'arrête derrière le mur d'une ferme. La fermière qui le reconnaît lui crie d'arrêter et va chercher un vase. Elle revient trop tard et comme le duc s'éloigne, il entend la bonne femme dire : "Ah! béni soit la quenette qu'a pissé to lé"! Cette bénédiction, partie du coeur émut le duc et quand sa femme accoucha de son premier fils après plusieurs filles, il l'emmène à la ferme et lui montrant le mur lui dit : "cétait to lé"
Le règne de Léopold passa dans la légende. Les fils apprirent de la bouche de leurs pères à vénérer le souvenir de ce prince; et c'est ainsi que le nom de Léopold, rattaché à des faits locaux, conservés par la tradition, est devenu si populaire dans nos campagnes.
Il n'est ni français comme sa mère, ni lorrain comme son père, il est autrichien. Tous ses regards sont tournés vers l'Autriche où il habite depuis sa jeunesse et qu'il ne veut pas quitter. Il devient le mari de l'archiduchesse Marie-Thérèse et le gendre de l'Empereur Charles IV dont il ceignera plus tard la couronne. Il abandonne sans regret sa petite patrie pour une plus grande et plus riche. Froidement, il signe le Traité de Vienne en 1737 qui met fin à l'indépendance politique de la Lorraine puis il se prépare à devenir grand-duc de Toscane, empereur. On juge des sentiments de surprise, de colère et de consternation qui animèrent les Lorrains quand ils apprirent que l'on avait disposé d'eux.
Sa mère quitte Lunéville et la Lorraine au milieu des gémissements de tout un peuple et la nouvelle province se prépare à devenir française.
La plume est impuissante à décrire la désolation générale qui régna à Lunéville et dans toute la Lorraine aussitôt que se répandit la nouvelle du départ des princesses.
"Je vis, dit Jamerai-Duval, son Altesse Royale Madame la Duchesse Régente et les deux augustes princesses, ses filles, s'arracher de leur palais, le visage baigné de larmes, levant les mains au ciel et poussant des cris tels que la plus violente douleur ne saurait les exprimer. Ce serait tenter l'impossible que de vouloir décrire la consternation, les regrets, les sanglots et tous les symptômes de désespoir auxquels le peuple se livra à l'aspect d'une scène qu'il regardait comme le dernier soupir de la patrie. Il est presque inconcevable que des centaines de personnes n'aient pas été écrasées sous les roues des carrosses ou foulées aux pieds des chevaux, en se jetant aveuglèment à travers les équipages, pour en retarder le départ. Les habitants des campagnes arrivaient en foule sur la route par où la famille royale devait passer et, prosternés à genoux, ils lui tendaient les bras et la conjuraient de ne pas les abandonner " (6 mars 1737).
La Lorraine n'est pas tout de suite incorporée à la France : on lui conserve un semblant d'existence, en la plaçant sous le sceptre de Stanislas, roi détrôné de Pologne et beau-père de Louis XV. Si Stanislas eut le titre de roi, il n'en a guère le pouvoir car, en fait, la Lorraine se trouve, trente ans avant d'être française, placée dans la main de fer du chancelier français de la Galaizière.
Les charges publiques sont notablement accrues : les impôts, les redevances, la milice pèsent lourdement sur le paysan. Stanislas cependant est bon et compatissant pour le pauvre peuple, autant qu'il le peut, il cherche à adoucir ses misères. Les institutions de bienfaisance qu'il crée : hôpitaux, hospices, asiles, écoles, attestent encore aujourd'hui la bonté de son coeur et lui valent le titre de "Bienfaisant" que la postérité lui a conservé.
Le règne de Stanislas a préparé la domination française. Le roi de Pologne a laissé à la France la réalité du pouvoir : elle y répartit et lève les impôts, elle y met en garnison ses troupes, elle y entretient la police et y nomme les magistrats chargés de rendre la justice. Toute la réalité du pouvoir appartient à l'intendant français Chaumont de la Galaizière qui prend le nom de chancelier.
Stanislas ne s'est réservé que deux départements : celui de la charité et des beaux-arts.
"C'est une bonne action, disait-il, de donner du pain au pauvre qui en manque, mais c'en est une meilleure encore de ne lui donner qu'à la fin de sa journée ; on l'aura soustrait par là à deux grands maux, l'oisiveté et la misère."
Après la mort accidentelle de Stanislas (ses vêtements prirent feu alors qu'il avait 88 ans) les scellés sont aussitôt mis sur la cassette et les papiers du roi de Pologne, sur les châteaux qu'il avait élevés en Lorraine. On supprime le Conseil d'Etat et le Conseil des Finances qui, de leur vivant, avaient traité les affaires du pays. Toutes ces affaires vont désormais aboutir à Paris, aux divers Conseils de la Couronne. A Lunéville, la maison de Stanislas se disperse. L'existence autonome de la Lorraine a cessé : la Lorraine n'est plus qu'une province de la France. Nancy cesse d'être une capitale pour tomber au rang de simple chef-lieu.
La Lorraine garde le souvenir reconnaissant des princes qui l'avaient pour la plupart gouvernée avec douceur et sagesse. Mais du jour où ses ducs eux-mêmes, se rendant bien compte des difficultés de leur isolement au milieu des possessions françaises, se décidèrent, en gens avisés, à troquer leur patrimoine contre une couronne étrangère, la masse de la nation ne s'obstina pas dans de naïfs regrets et dans une fidélité dont on la déliait et rentra sans résistance dans l'unité de la grande patrie. Ce fut un mariage de raison que contracta la nouvelle province.
Située sur les frontières de puissantes nations, la Lorraine, appelée la "Sibérie de la France" devait être absorbée toute entière. Par bonheur, elle le fut par la France. L'histoire de la France est devenue notre histoire. Il nous appartient aussi à rappeler à la postérité que nos ancêtres étaient lorrains avant d'être français.