Heures lorraines
Les menaces d'invasion grondent sans cesse comme un orage sur tous les points de l'Empire. Le moment approche où ce torrent va déborder de toutes parts et l'ébranler jusque dans ses fondements.
En l'an 312 avec l'avènement de l'Empereur Constantin, le christianisme devient une religion d'état. Au moment même où il commence à compter, tout se précipite : l'Empire byzantin dans l'Orient, l'invasion des Barbares dans l'Occident, deux fléaux dont est en partie responsable la révolution chrétienne.
C'est une religion de paix et d'amour qui a horreur du sang. Ennemi des guerres d'ambition, le chrétien préfère une paix sans gloire mais sans violences et injustices. A ses yeux, les barbares sont des frères à éclairer et à convertir, non des rebelles à punir et à exterminer. La puissance militaire s'affaiblit plus vite que la puissance civile. Le goût des armes se perd. C'est à l'audace et à la rapidité de ses agressions que Rome avait dû tous ses succès.
C'est la même chose pour les Gaulois qui adoptent toutes les délicatesses d'une vie dissolue : les bains, les portiques, les repas somptueux, la fainéantise, la gourmandise, l'ivrognerie et la lubricité les aveuglent. Florus dit qu'il y a longtemps que la Germanie serait devenue province romaine si les Barbares avaient accepté les vices des Romains comme l'avaient fait les Gaulois. La terre gauloise est devenue terre romaine parfaitement assimilée. Les vestiges de la grandeur latine demeurent en Lorraine, non seulement à l'état de constructions grandioses comme les arches de Jouy et les arènes de Metz mais encore dans les lois, dans les goûts, dans l'organisation de la famille et dans la pratique de la vie.
Les Barbares n'ont jamais cessé leurs incursions et leurs ambitions restent intactes. Massés aux frontières du Rhin, ils observent et attendent le moment favorable. Or, les villes ne s'en émeuvent pas, personne ne songe à leur défense. L'empire s'affaisse sous le poids de sa propre corruption pendant que ses ennemis plus nombreux, plus habiles, plus implacables croissent en énergie et en audace.
"Nous avons tué des milliers de Francs et des milliers de Sarmates ; nous avons poursuivi des milliers de Perses" - Historia Augusta. C'est la première fois au IIIème siècle qu'apparaît le nom de "francs".
"Il y a sur le Rhin, une nation de Celtes. La nature les a tellement formés pour la guerre qu'on leur a donné le nom de Fracti, qui, dans la langue grecque, exprime cette vigoureuse constitution (forts et puissants), nom que le vulgaire ignorant a changé en celui de Francs. Lorsque ce peuple combat, il ressemble aux flots de la mer ; quand son premier flot s'est brisé, il en succède un second, puis un troisième, ainsi de suite, jusqu'à ce que le vent soit apaisé. C'est ainsi que combattent ceux auxquels nous donnons le nom de Fracti. Leur fureur dans l'action est portée à un tel excès, qu'à peine un corps avancé est détruit, qu'il en paraît un autre sous la conduite d'un nouveau chef." - Etat de la Gaule au Vème siècle
La confédération des Francs - entre la Weser, le Rhin et le Mein - affrontée par Aurélien et immédiatement battue, se manifestait comme une agglomération particulière, quelque chose de nouveau, d'inquiétant, quelque chose d'autre que cette barbarie germaine avec laquelle la politique romaine s'était familiarisée. Une nation surgissait, entraînant des peuplades entières, refoulées ou asservies, englobées, donnant le spectacle inouï d'une horde organisée. Jusqu'alors, la Germanie n'avait été qu'une expression géographique ; maintenant les qualificatifs y désignaient, sinon des peuples, au moins des groupements réels, compacts, disciplinés et gouvernés. Les Francs (confédération de groupes libres) menaçaient le Bas-Rhin comme les Alamans (conglomérat d'hommes de toutes races ) menaçaient le Haut-Rhin.
Un ennemi vigilant observe : c'est le moment favorable pour l'attaque et il le saisit : l'empire est inondé, dévasté, rançonné par un déluge de barbares dont les Francs, les Sarmates, les Goths, les Saxons, les Allemands, les Bourguignons, les Suèves, les Alains et les Vandales.
Les Allemands de Chrocus, les Vandales, pénètrent en Lorraine et les forteresses tombent ainsi que des chênes foudroyés. La désolation et la mort règnent sur un monceau de ruines.
Pourtant, pour les Gaulois, les Francs ne sont pas vraiment des barbares : ils avaient adopté la braie des Gaulois et le fer des Scythes. Malgré les ravages causés par eux, ils raniment chez les Gaulois un esprit d'indépendance et un rejet de la domination romaine qui n'avaient pas tout à fait disparu. Si bien qu'ils sont perçus comme une possibilité de recouvrer la liberté. Dès lors, la Lorraine est un champ de bataille où les Romains luttent contre les Barbares et où les Barbares vainqueurs se battront entre eux. L'empire romain-latin devient l'empire romain-barbare.
La Gaule se remplit de barbares : sur le sol même de l'empire, les Germains établis à demeure pullulent. Une partie de la population ayant été massacrée lors des invasions, les propriétaires font appel aux barbares : parmi ces derniers les uns viennent librement se mettre à leur service, d'autres sont des prisonniers de guerre donnés ou vendus par les empereurs ou les généraux romains. Rome d'elle-même leur ouvre ses armées. Les empereurs ,obligés de recourir à ce mode de recrutement cherchent à en voir les bons côtés : ces barbares sont de vigoureux soldats. On emploie ces étrangers non seulement à défendre la Gaule mais à la cultiver. On les établit en masse dans les campagnes.
"Grâce à toi, Maximien Auguste, le Franc soumis à nos lois a cultivé les champs abandonnés des Nerviens et des Trévires ; aujourd'hui, tout ce qui restait inculte dans les territoires d'Amiens, de Beauvais, de Troyes, de Langres reverdit par les soins d'un cultivateur barbare."
"N'est-ce pas une victoire que de les voir, établis avec leurs enfants, remettre en culture les pays qu'ils ont dévastés et rendus déserts ? Que le Salien, dit Claudien, laboure nos campagnes, que le Sicambre courbe son glaive pour en faire une faucille."
Ces Germains qui peuplent les armées, les campagnes, qui s'emparent des fonctions publiques n'ont point cependant le sentiment de la ruine prochaine de Rome, ni de la part qu'ils y prennent. L'Empire n'est pas un ennemi pour eux, c'est une carrière : individus, familles, bandes, peuples y viennent chercher fortune. Les Romains, quant à eux, voient les peuplades barbares soumises, disciplinées et ils sont fiers d'une telle oeuvre.
A ce moment-là, les Gaules envahies au nord, à l'est et au midi sont partagées entre tous les peuples que Rome admet dans son alliance. Il est de l'intérêt d'Attila de ménager ces différents peuples publiquement alliés mais secrétement ennemis des Romains et toujours prêts à les affaiblir. Ses premiers coups doivent par conséquent viser les provinces restées fidèles à l'empire : Cologne, Trêves, Metz, Toul. Parti de cette tactique, il arrive au pied des Vosges au-delà d'Epinal et de Neufchâteau. On peut donc sans se tromper dire que la Lorraine est sous la domination des Huns et un des points de départ de son invasion dans les Gaules.
Attila, après de nombreuses batailles et dévastations bat enfin en retraite. Quelque grande eût été la perte du côté d'Attila, il lui serait resté une armée plus nombreuse que celle du général romain Aetius si deux alliés aussi puissants que les Francs et les Visigoths avaient abandonné le camp romain. Après la désertion des Visigoths, Aetius juge qu'il valait mieux laisser à Attila un moyen de rentrer chez lui plutôt que de chercher à l'anéantir. Toujours aidé des Francs, il suit la retraite d'Attila jusqu'aux bords du Rhin, ne voulant pas s'engager en Germanie. C'est ainsi que se termine l'expédition d'Attila dans les Gaules.
Ce sont les Francs qui ont le plus payé de leur sang la reconquête de la Gaule. Ce sont eux qui plus tard seront les plus justifiés à devenir maîtres de la patrie qu'ils viennent de sauver. Mérovée dont descend Clovis régne alors sur les Francs.
Avec le règne de Clovis se termine la période des origines ; le pays se trouve désormais en possession de tous les éléments ethniques dont se compose sa population ainsi que des modèles politiques, sociaux, littéraires, artistiques, religieux ou moraux sur lesquels il vivra. La population est un mélange de néolithiques, de Ligures, de Belges et de Germains (Francs ou Alamans). La part que Rome a fourni n'a pas d'importance. Dans la région lorraine, il n'y a plus que des chrétiens. Triomphe plus apparent que réel car les auteurs de l'époque franque nous les dépeignent comme violents, orgueilleux, débauchés et vindicatifs. Malgré l'Evangile, les Barbares se font toujours un point d'honneur de venger leurs propres injures et celles de leurs proches ce qui, par la suite, va engendrer nombre de querelles et guerres intestines.
Mais en attendant :
La Gaule, jadis la terreur de Rome qui coûta dix années de travaux à César ; la Gaule, rempart inexpugnable de l’Empire contre les Germains ; la Gaule enfin si paisible sous la « pax romana » devient l’esclave de mille tyrans. On la voit couverte d’épaisses ténèbres mais elle n’est qu’abattue car elle va civiliser ses farouches vainqueurs. Ranimée par le feu du courage des Francs, elle va, sous le nom de France, disputer à Rome son antique renommée et fonder un nouvel Empire d’Occident.