Heures lorraines
L'Empire romain d'Occident s'éffondre au Vème siècle mais les divisions administratives qu'il avait crées ne disparaissent pas avec lui. Le christianisme qui a fait son apparition dans le pays dès le IIIème siècle a conquis une partie de la population gallo-romaine et l'Eglise a ici, comme partout dans l'empire, adopté les circonscriptions établies par le pouvoir civil ; c'est ainsi que la première Belgique devient une province ecclésiastique et chacune des quatre cités qu'elle comprend un diocèse dont l'évêque réside au chef-lieu de la civitas.
Au Vème siècle, Alamans et Francs se disputent la région mosellane : les Francs l'emportent avec Clovis mais de nombreux Alamans n'en demeurent pas moins dans le pays. Sur les rives de la Sarre et de la Nied c'est encore un dialecte germanique que l'on parle aujourd'hui ; l'unité linguistique s'est donc trouvée brisée de ce fait et pour toujours. Dans la partie de la région mosellane restée française, la langue romane a prévalu.
La notion d'Etat est parfaitement étrangère aux tribus franques. La tribu, vaste famille choisit le chef à qui elle délègue ses pouvoirs. Le chef franc porte le titre de roi. Si cette royauté est seulement élective, les guerriers choisissant un chef parmi les hommes libres de la tribu, elle devient héréditaire après que Clovis eut décidé de la fixer pour sa descendance.
Une fois conquis par les Francs et gouverné par les Mérovingiens, notre pays va connaître quelques centaines d'années de tranquillité relative. Vers le milieu du VIè siècle, Metz devient devient la résidence des rois d'Austrasie.
Par malheur, cette période brillante ne sera pas de longue durée. Au XIIè siècle, notre pays est divisé en nombre de principautés laïques ou écclésiastiques. La période qui va du XIIè siècle au XV ème est une des plus misérables et des plus tristes de notre histoire. Conflits, guerres incessantes qui épuisent le pays et qui créent des inimitiés durables entre les habitants des diverses principautés de la région, tel est le lamentable spectacle que nous offre cette époque.
Après des guerres et des dévastations innombrables, les Francs ont pacifié le pays. Logiquement la barbarie aurait dû l'emporter mais deux éléments interviennent : la volonté des Francs de se hausser au niveau du vaincu et la survivance des évêques et de leurs diocèses. Toute la structure de l'administration romaine est rompue; il n'existe plus d'autre autorité que celle, toute spirituelle, des évêques. C’est la lutte du christianisme contre la barbarie. L’église s’est emparée de l’esprit des francs. En 496,c'est Remi évêque de Reims qui fait du roi des Francs, Clovis, le premier roi de France en le rendant acceptable par le baptême aux populations de la Gaule convertie. Autrement, Clovis n'aurait pu s'imposer que par la force au lieu de quoi, Francs et Gallo-Romains se fondent progressivement en une même communauté. La langue parlée sera le latin et non un idiome germain.
Le christianisme progresse. Malgré quelques survivances du paganisme, l'Eglise tient bon. Prêtres romains, germains, gaulois : tous prêchaient librement et à l'envi. On ne savait pas qui croire. Le clergé est sans règle ni doctrine car les patrimoines ecclésiastiques attirant les convoitises, on voit bientôt des laïcs à la tête des évêchés.
Dans les campagnes, la situation du christianisme est pire encore. Le terme de pagani, habitant du pagus, de la campagne, paysans, par opposition aux habitants de la ville, a pris dès le IVème siècle une signification religieuse : ces pagani sont des païens attachés aux anciens cultes. A la fin du siècle encore, en dépit d'actives prédications, de gros bourgs ne comptaient pas un seul chrétien. Le druidisme avait depuis longtemps perdu sa vitalité, mais, du mélange de la mythologie romaine avec la mythologie celtique, s'était formée, une religion populaire. L'usage du celtique n'avait pas encore entièrement disparu et en Gaule, les débris des dialectes indigènes se mêlaient au latin populaire et en rendaient l'intelligence plus difficile à des étrangers. A défaut de temples et d'idoles, la vénération des paysans s'attachait à des rochers, à des lacs, à des fontaines : l'Eglise y place les signes de son culte. Aux embranchements des routes, elle dresse des croix ; près des fontaines, aux arbres sacrés, elle suspend des images pieuses ; au fond des bois, elle élève d'humbles chapelles.
Alors arrivent les inspirés, les saints, les héros de l’époque que sont les Patrice, les Colomban et tous ces disciples de Saint Benoît que l’Italie envoie à la Gaule.
Ils s'aventurent dans des bourgs, dans des campagnes où le christianisme est inconnu. Ils s'attaquent à des sanctuaires antiques et riches et les détruisent pour y substituer des églises, des monastères. Saint Martin est un de ceux-là et son culte se répand à travers toute la Gaule. Son nom est devenu comme le symbole de l'évangélisation de la Gaule au IVème siècle.
D'Irlande vinrent des missionnaires pressés d'évangéliser les infidèles et les chrétiens dégénérés. Ils venaient de monastères nombreux et solidement implantés. Colomban était un de ceux là et il s'installa dans les forêts de la Vôge. Il s'isolait souvent dans les fourrés touffus pour des prières prolongées et passait les dimanches dans une caverne qui lui servait également de retraite pour des jeûnes de cinq à six semaines. Les recrues affluaient attirées par cette dureté de vie et trois monastères virent le jour : Anagray, Luxeuil et Fontaine.
Ces hommes doux et sans armes sont plus redoutés des rois barbares que les plus grosses armées. Ce sont des dompteurs d’âmes et de bêtes fauves. Ils prêchent la douceur, la charité, la mansuétude au milieu des haines sauvages, de la férocité et du crime. Et, chose étrange, les barbares tremblent, écoutent et obéissent.
Sous leurs efforts persévérants, le pays change de face. Les arbres au pied desquels avait coulé le sang des victimes humaines, tombent sous leur cognée. Les vallées sont assainies et cultivées. Conquérants pacifiques, ils ouvrent de larges brèches dans la forêt inviolée et préparent pour les générations futures une terre qui peut les recevoir et les nourrir. C'est ainsi que se fondèrent les monastères. Peu à peu, d'importantes agglomérations rurales vinrent se former autour de ces couvents et plusieurs d'entre elles sont devenues des villes importantes.
La partie montagneuse des Vosges est abandonnée par les Francs aux moines qui préférent bâtir leurs couvents au fond des vallées, dans des retraites cachées et sûres tandis que dans les terres plantureuses à l’Est de la Moselle, des seigneurs du Moyen-Âge couvrent le pays de châteaux et de villes fortifiées. Ca et là apparaissent les premières traces de civilisation. Dans les forêts encore pleines de bêtes fauves, des commencements de villes et de villages se groupent autour des fermes où se sont installés les chefs francs avec leur truste qui comprend toute une armée de vassaux. Après tant d’horribles invasions, les faibles se serrent autour des forts, les paysans autour des guerriers. Le serf est trop heureux d’avoir un maître qui empêche son champ d’être brûlé. La féodalité, à son origine, est une protection.
Charles Martel dirige la Francie de 718 jusqu'à sa mort en 741. Il rétablit le gouvernement centralisé en Francie; la Lorraine alors est divisée en un grand nombre de pagi dont les comtes, sans liens entre eux, se rattachent directement à l'autorité centrale.
Il commence une série de campagnes militaires qui rétablit les Francs comme les maîtres incontestés de toute la Gaule. Il arrête l'avancée des Arabes à Poitiers en 732 et, grâce à ce triomphe,devient le maître du royaume.
Jusqu'à lui, l'armée n'était composée que d'hommes libres, levés dans les comtés en temps de guerre. C'était une simple milice de fantassins, s'équipant à leurs frais, difficile à réunir, lente dans ses mouvements. Il décide de créer une classe de guerriers : une large distribution de terres est faite aux vassaux les plus robustes et pour ce faire il n'hésite pas à séculariser des biens d'église. Chaque homme d'armes gratifié d'une tenure ou d'un bénéfice est tenu d'y élever un cheval de guerre et de fournir le service militaire à toute réquisition. Un serment de fidélité renforce encore cette obligation. Le vassal qui n'était au départ qu'un serviteur devient ainsi un soldat dont l'existence est assurée par la possession d'un lopin de terre. Les immenses domaines de l'aristocratie permettent à chacun de ses membres de se constituer une troupe de cavaliers. Le nom primitif de bénéfice disparait, remplacé par celui de fief.Ce qui n'était qu'une adaptation de l'armée à une époque où le grand domaine dominait toute la vie économique eut pour conséquence de donner à l'aristocratie foncière la puissance militaire avec la puissance politique.
Le petit fils de Charles, Charlemagne, est devenu le premier empereur d'occident depuis la chute de Rome. Il avait compris que les deux instruments de la civilisation étaient la tradition latine et le christianisme ; il les imposa au monde barbare à grands coups d’épée. De l’alliance de Charlemagne avec l’église sortira la féodalité. Epoque glorieuse, époque de sécurité, de puissance où la Lorraine est le centre de la monarchie franque, où nos ancêtres ont accompli sous la direction des Pépins et des Charles, une grande oeuvre civilisatrice.
Bien souvent Charlemagne vint chasser les sangliers, les ours, les loups et les aurochs dans les forêts des Vosges. Plus tard, les seigneurs d'Alsace et les ducs de Lorraine continuèrent les traditions de Charlemagne.
L'histoire de la Lorraine commence à la dissolution de l'empire carolingien et au traité de Verdun en 843. Par ce pacte, les trois fils de l'empereur Louis le Pieux se partagent l'héritage paternel. L'un d'entre eux, Louis,a l'Allemagne sur la rive droite du Rhin : il fut Louis le Germanique ; l'autre, Charles le Chauve, reçoit le royaume de France jusqu'à la Meuse. L'aîné Lothaire qui porte le titre d'Empereur, obtient l'Italie et une bande de territoires qui aboutit à la mer du Nord. Un nouveau partage en 855 entre les héritiers de Lothaire donne à Lothaire II un vaste pays entre la mer du Nord et le Jura qui est appelé Lotharingie.
Les pays de la Meuse et de la Moselle avaient été au coeur de l'Empire carolingien. Les partages, visant surtout à créer des lots de valeur égale y avaient découpé la Lotharingie, pays sans unité géographique ni linguistique. Perdant sa position centrale, la Lotharingie devint une marche.