Heures lorraines
La liste qui suit n'est pas complète : j'ai relevé au fil de mes lectures les faits qui ont marqué les chroniqueurs sur plusieurs siècles. Je m'arrête volontairement à la fin de la Guerre de Trente Ans qui amorce l'entrée progressive de la Lorraine dans le Royaume de France.
La véritable peste de l'Orient apparaît au temps de Frédégonde et de Brunehaut, après les guerres continuelles qui avaient dévasté l'Austrasie et presque toute la France. Richard de Wassebourg signale sa présence en Lorraine en 825 où elle cause une grande mortalité.
Mezeray : " Après ces cruelles désolations, le ciel ajouta une cruelle maladie épidémique qui courut par toute la France mais plus furieusement à Paris et aux environs. On la nommait la peste de l’aine parce qu'elle paraissait en ces parties-là. Elle brûlait ceux qui en étaient atteints, avec d'étranges douleurs, et faisait escarre en peu de temps comme un cautère. La plupart en mouraient avec des cris et des hurlements effroyables ; et on n'y trouvait point de remèdes que dans les églises et spécialement à celle de Notre Dame."
Suivant Grégoire de Tours, la peste arriva par Marseille en France et y régna 15 ans. Pendant cinquante-deux ans, elle parcourut l'Europe et la dépeupla.
Les symptômes variaient selon les individus. Les uns avaient les yeux rouges et étincelants, le visage bouffi et la gorge enflammée ; d'autres une fièvre ardente, des bubons aux aines, un délire frénétique, des charbons sur tout le corps. La maladie débutait brusquement par une petite fièvre bientôt suivie d'éruptions ou par un délire furieux suivi d'une stupeur mortelle. La mort arrivait le second ou le troisième jour.
A la suite d'un fléau qui semble maintenant réservé aux pays chauds, une invasion de sauterelles dont les corps produisirent une telle infection que le tiers des habitants périt et que les chiens disparurent de Lorraine : " Et par la Germanie et la Lorraine, fut une telle pestilence des bêtes brutes que les chiens fuyant les charognes furent totalement perdus par la Lorraine. En sorte que longtemps on n'en trouvait ni morts, ni vifs.
Wassebourg : " En l'an 1090 fut grande famine partout le pays de Lorraine, par la stérilité des terres qui n'avaient point rapporté ; puis survint un air corrompu par tout ledit pays qui engendra une maladie nommée le mal des ardents, feu sacré, feu infernal, feu Saint Antoine mal par lequel jambes et autres membres des personnes étaient enflammés de sorte qu'ils se corrompaient et desséchaient comme noirs charbons. Bref, ce mal tourmentait tellement ceux qui en étaient entachés que les uns mouraient misérablement, les autres se faisaient par contrainte couper les membres asséchés par ce mal, d'autres encore étaient contrefaits par retraite et contraction des nerfs, vivant en tourments et langueurs le surplus de leur misérable vie."
Mazeray signale une nouvelle invasion de cette maladie en 1130 et elle dévasta le pays messin en 1243. Il semble que le feu saint Antoine était ou la gangrène sèche produite par l'ergot ou blé cornu ou quelqu'érésypèle gangréneux.
Le bétail meurt en masse, l'année est constamment humide : on ne peut sécher les foins, les grains germent sur pied.
Les pluies continuent, elles vont encore sévir jusqu'en 1319.
Le règne du duc Raoul est témoin d'une grande famine : au mois de janvier, pendant quinze jours des tremblements de terre ébranlent toute l'Europe et renversent plusieurs villes florissantes. Des maisons s'écroulent à Strasbourg et à Bâle; des pluies affreuses, des éruptions d'eaux souterraines et des inondations terribles détruisent les récoltes, déracinent les arbres, bouleversent le sol, ruinent les maisons, entraînent les animaux et les hommes dans un commun naufrage. C'est le déluge, le chaos. Pendant trois années, une atroce famine dévore la Lorraine. Le tiers des habitants périt. Des maladies étranges et pestilentielles courent de ville en ville, de proche en proche. Les pauvres manquent de pain, de toit, de vêtements ; ils mangent les feuilles, les racines, les débris de la terre et les cadavres de bêtes fauves. On voit des malheureux sans pain, sans aliments dévorer les glands, les racines, les débris d'animaux. Il y en a même qui détachent les cadavres désséchés au gibet pour s'en repaître; d'autres font la chasse à leurs semblables comme à des bêtes fauves ; des mères dénaturées, délirantes enfoncent le poignard dans le sein de leurs enfants - Abbé Bexon
L'Europe entière est envahie par la grande peste connue dans l'histoire sous le nom de peste noire. L'intempérie des saisons détruit les récoltes et cette fois encore la famine précéde la peste, qui est si cruelle qu'en quelques endroits, suivant l'abbé Velly, il reste à peine un vingtième des habitants.
Boccace : " Les personnes atteintes de la peste sentent naître d'abord en différentes parties du corps des tumeurs qui, insensiblement, deviennent aussi grosses que des œufs, et quelquefois davantage. Peu de temps après, ces tumeurs gagnent de proche en proche et dès ce moment, il n'y a plus de ressource; on voit aussi le mal se produire par des tâches noires ou blanchâtres, tantôt larges et rares, tantôt petites et en grand nombre : celui qui en est attaqué en a sur tous les membres. Cette peste est si terrible qu'elle se communique aux personnes saines qui soignent les malades avec la même activité que le feu dévore les matières combustibles. Il suffit de toucher leurs habits pour gagner leur mal et chose étonnante que j'ai vue de mes propres yeux, deux porcs ayant remué avec leur groin et pris ensuite avec leurs dents des linges qu'on avait jetés dans la rue et qui avaient servi à quelques pestiférés, eurent à peine fait quelques tours, qu'ils tombèrent morts sur la place.
Chacun ne songeant plus qu'à soi, on vit la charité se refroidir et s'éteindre tout à fait parmi ceux que la contagion avait épargnés.
Ambroise Paré: "... cette peste est si contagieuse que non seulement en conversant ensemble mais aussi en se regardant l'un l'autre, elle se prend et les personnes meurent sans serviteurs et sont enterrées sans prêtres. Il meurt de jour en jour si grand nombre de pestiférés que, ne pouvant suffire à les enterrer, on est contraint de faire de grandes fosses aux cimetières et les jeter dedans à monceaux, les uns morts et les autres étant encore à l'agonie. Cette maudite peste est quasi partout dans le monde et n'en laisse presque pas le quart." La Lorraine perd les deux tiers de ses habitants.
Elle reparaît en 1358, 1360 (année marquée par de nombreux tremblements de terre), 1363 (précédée par un très grand froid et par des tremblements de terre),1365 (propagée par les armées),1370 -Une peste survint qui réduisit le peuple dans un état d'épuisement et de misère tel, qu'il n'y avait pas une famille qui ne fût frappée.1380 (tempêtes extraordinaires) et 1381. Presque toutes ces années ont connu des guerres continuelles.
Des bandes de brigands appelés "bretons routiers", auxquels viennent se réunir tout ce que le pays renferme de scélérats, gens sans aveu, mauvais garçons, au nombre de 40 000, sous la conduite du fameux Arnaud de Cervolle, parcourent la Lorraine, mettant tout à feu et à sang, selon leurs caprices, s'emparant des châteaux, brûlant les églises et se livrant aux excès les plus horribles. Jean 1er ne peut exterminer ces infâmes aventuriers, après plusieurs années de lutte, qu'avec le secours des armes du roi de France.
Une peste survint qui réduisit le peuple dans un état d'épuisement et de misère tel, qu'il n'y avait pas une famille qui ne fût frappée.
"... avec la mortalité de la peste, régnait une autre maladie plus dangereuse faisant cracher le sang et si contagieuse que non seulement par communication de l'un à l'autre, mais de regarder l'un à l'autre suffisaient à être contaminés. Nul n'y échappait si bien que le tiers des hommes et des femmes de l'Europe moururent". Chroniques de la ville de Metz
Maladie contagieuse, se déclare à Metz et dans le duché de Lorraine et y attaque un grand nombre d'individus; il y a bien quinze cents malades dans la seule cité de Metz.
Cette contagion est attribuée aux lépreux lesquels sont soupçonnés de vouloir empoisonner les bien-portants. Elle enlève 16000 personnes à Metz.
"En ce temps, il y eut une grande mortalité de gens par tout le monde et en furent morts, tant en Metz comme au pays d'icelle, jusqu'au nombre de vingt mille personnes : et durant icelle mortalité un an et plus. Et était l'air si très infect que l'on ne voit autre chose que gens malades par les rues et autre part en la cité, de chaude maladie, tellement que c'était l'horreur. Et l'hôpital ne reçoit aucun malade étranger à la ville de Metz, lesquels étaient une multitude. Seuls sont admis ceux qui relèvent de la juridiction de la ville de Metz et qui habitent en cette ville."
La peste, après avoir ravagé la Belgique, envahit une partie de la Lorraine et notamment la ville de Verdun, où, dans l'espace de deux ans, elle enlève deux mille cinq cent personnes selon les uns et trois mille selon les autres.
"En ce temps une année entière, y eut grand labeur es cimetières, de grande pestilence mortelle que de longtemps n'y avait eu de telle. On y mourut de si grande force, qu'on y bouta des corps en fosse, tant aux faubourgs qu'à la ville, en quatre mois bien quatre mille."
Discours de 1617 sur ces pluies en Lorraine :des pluies presque continuelles, qui commencent à tomber au mois d'octobre 1500 et se prolongent jusqu'à la fin de mars 1501 et qui produisent une famine excessive.
"... La famine aussi survint par tout le pays, si étrange que le bichet de blé qui s'était donné quelques années auparavant pour moins de trois sols se vendit alors cinquante, comme la queue de vin qui ne s'était vendue que 18 gros, s'acheta 10 francs de plus. Cherté non ouïe auparavant et qui fut suivie l'année d'après d'une si grande pestilence (car l'une est le levain de l'autre) qu'elle emporta presque le tiers des gens du pays et qui fut tellement éclairci et dénué d'hommes, que le commerce et le labourage en demeurèrent arrêtés bien longtemps. Toutefois, le roi René remédia le plus tôt qu'il put à ce défaut par un allègement et diminution des charges et aides ordinaires que le peuple supportait auparavant."
Cette cherté des denrées de première nécessité et la misère qui en résulta engendrèrent, comme il arrive toujours, des maladies contagieuses qui enlevèrent le tiers des habitants de la Lorraine.
Elle reparaît avec plus d’intensité : les gouverneurs font nettoyer la ville, tuer les chiens et garder les portes pour interdire l’entrée aux étrangers. En 1511, la maladie loin de disparaître fait des progrès effrayants : le maître d’école, les sonneurs, les gardes de nuit sont bientôt au nombre des victimes et l’épouvante est si générale qu’une partie des habitants prend la fuite. Les gouverneurs sont obligés de prendre des mesures pour préserver la ville d’un incendie général dont elle est menacée. Pour certains, c’est le seul moyen de détruire le foyer de l’épidémie.
Il survient la danse de Saint-Guy qui n'est d'autre que la chorée (infection bactérienne due au streptocoque).En Alsace, une femme se met à danser pendant quatre jours entiers. Plusieurs autres commencent encore à danser près des écuries de la ville au point qu'en quatre jours, trente-quatre personnes, hommes et femmes, dansent. En peu de jours, leur nombre s'élève à plus de deux cents. Les malades dansent jusqu'à ce que l'épuisement de leurs forces leur fait perdre connaissance et plusieurs en meurent. A l'aspect des danseurs, les personnes maladives se sentent agitées d'une certaine inquiétude qui augmente bientôt. Elles se livrent à des gestes bizarres et finissent par se joindre aux danseurs. Ceux-ci parcourent les rues le jour et la nuit accompagnés de gens qui jouent de la cornemuse. Cette maladie nerveuse se propage ainsi par une sorte de contagion imitative.
Dans les premiers temps, ces phénomènes extraordinaires furent imputés aux démons : on les combat par les prières et par les exorcismes. Quand le malade ne guérit pas, on le déclare démoniaque et on le brûle pour l'édification des fidèles. Plus tard, on a recours à la musique mais le remède ne fait qu'accroître le mal. On a recours aux prières, aux pèlerinages et à la religion.
Une maladie pestilentielle se déclare à Toul, avec une grande violence, et se répand bientôt dans toute la Lorraine; deux ans après, en 1524, une disette affreuse fait mourir une infinité de pauvres dans les villes et les campagnes, et cause une nouvelle épidémie.
Violents tremblements de terre dans les Vosges. Leurs secousses renversent des maisons, sous les ruines desquelles périssent un grand nombre de personnes et jettent la terreur dans tout le voisinage. Ces bouleversements sont suivis d'une stérilité désolante et d'une disette telle que les pauvres sont réduits à se nourrir de cadavres, ce qui ne fait que multiplier le nombre dans les campagnes. La peste suit et sévit avec tant de violence, qu'en moins de trois mois la ville de Toul perd le quart de sa population. Le maire échevin défend l'entrée de la cité aux campagnards; néanmoins on leur distribue du pain hors barrières.
Ces précautions d'intérêt public n'empêchent pas le cruel fléau de se déchainer avec un redoublement de fureur pendant les années 1528 et 1529. Il fait abandonner la ville à tous ceux qu'il n'a pas le temps d'atteindre et il ne reste que ceux qui n'ont pas pu trouver un asile ailleurs.
Nouvelle invasion plus terrible que les précédentes. En 1544, elle fut plus grave encore. Il y eut 1545, 1548, 1553, 1554, 1575,1584, 1597 : rarement plus de cinq ans les séparent les unes des autres. Pas de renseignements sur la nature des maladies, on sait seulement qu’elles sont contagieuses.
La peste commence en Lorraine le 15 octobre 1610 à Rambervillers. Edit du duc de Lorraine Henri II du 28 novembre 1610 qui interdit, sous peine de vie, de se rendre dans les lieux où le mal s'était déclaré, soit en Lorraine, soit ailleurs et dans les places-fortes. Ce que l'on nomma peste n'était en réalité qu'une épidémie de fièvre typhoïde seulement dans les places-fortes et cantonnement de troupes.
Au milieu de calamités si graves, personne ne songeait à écrire des annales ou des chroniques. Aussi aucun document n’indique avec exactitude la nature de l’épidémie qui régna si longtemps en Lorraine. En voyant la maladie suivre les armées en marche, on est tenté de croire qu’il s’agit du typhus. Il s’y mêle sans doute quelques-unes de ces affections qui naissent d’une alimentation mauvaise et insuffisante, conséquence inévitable de la famine. Beaucoup de malades, dit Papon, éprouvèrent des évacuations alvines bilieuses ou vermineuses, des nausées et des vomissements.
La peste apparaît à Toul, en réalité il s'agit d'un typhus qu'on appelle la peste hongroise et qui est apportée par l'armée de Ferdinand II dans le pays messin. Ledit Toul est mis en interdit pendant huit mois. A Allain-aux-Boeufs, la maladie dure 6 mois : "resserrés en leur village sans que le commerce et fréquentation avec leurs voisins leur aient été permis, de manière qu'ayant été délaissés et n'étant secourus de personne notamment au temps de la moisson, partie de leurs grains avait été mangée aux champs par le bétail, ou mangé par les loups faute de garde, parce qu'ils n'osaient pas converser les uns avec les autres, crainte que par telle conversation ils ne tombassent dans pareille affection que leur cohabitants et ne se procurassent leur ruine les uns aux autres."
La maladie gagne les Vosges et commence à Mirecourt. Elle apparaît au mois de février 1632 et règne encore une partie de l'année suivante avec violence. La terreur s'empare des habitants qui s'enfuient et il ne reste que ceux qui se trouvent dans l'impossibilité absolue de partir. L'émigration est telle qu'un arrêt est pris lequel défend à tout bourgeois de partir sans avoir pris auparavant les mesures nécessaires pour se faire remplacer à la garde des portes et payer tout ce qu'il pourrait devoir pendant trois mois pour l'aumône des pauvres. Les portiers ne doivent pas laisser sortir une seule personne sans la permission écrite du magistrat mayeur.
La famine suivie du typhus sont en permanence en Lorraine.
Chronique du curé d'Ottonville: "Auparavant on avait des procès pour acquérir et posséder des terres; cette année, on se disputa avec acharnement l'espace nécessaire pour un tombeau. Partout les cimetières furent remplis et agrandis, quoique souvent à Boulay 10 ou 12 corps fussent inhumés dans une seule fosse. Dans les villages, un grand nombre attendirent pendant 8 jours, beaucoup attendirent même des mois entiers et dans quelques maisons 4 ou 5 cadavres restèrent dans sépultures. La peste, la famine, la fièvre de Hongrie et d'autres calamités semaient la mort de tous côtés ; le plus robuste était par cela même plus violemment atteint et plus rapidement enlevé. Celui qui apparaissait avoir échappé une fois à la maladie, ne tardait pas à succomber après 3 ou 4 rechutes."
La frayeur est telle, les esprits sont si troublés que les parents jettent leurs enfants au feu, désespérant de les préserver.
Une fièvre catarrhale épidémique - Dom Bigot nous dit : "Les froidures avec les humidités ont continué avec des brouillards fort extraordinaires, qui ont causé des rhumes, des catarrhes, dont plusieurs sont morts ; et ce mal a été presque universel".
L'année s'est terminée avec de grandes neiges, l'on n'a cessé partout d'être attaqué de fièvres pestilentielles. En réalité, il s'agit de la grippe.
..." les pluies ont été étranges, ayant redoublé plus qu'auparavant, n'ayant pas cessé les mois de juin et juillet... en sorte qu'en plusieurs endroits on appréhende la famine, suivie d'une pestilence ; l'avant-coureur s'étant déjà manifesté, à savoir la petite vérole, qui a grande vogue, saisissant non seulement les petits enfants, mais encore les personnes plus âgées."
Epidémies de fièvre typhoïde - 1658 : la grippe .... l'hiver, dit Saillant, était très froid et avait été précédé d'un été très chaud; le froid se prolongea assez avant dans le printemps et continua de tenir ressérrés les pores de la peau. L'épidémie vint comme un coup de foudre".
Une épidémie de fièvre catarrhale règne dans toute la Lorraine et même dans toute la France, surtout pendant les mois d'octobre et de novembre. Beaucoup d'habitants croient à un retour de la peste. Au même moment, il y a de grandes pluies continuelles, qui font beaucoup de mal aux récoltes. On attribue la maladie à ces pluies.
Le 12 mai 1682, un épouvantable tremblement de terre est ressenti dans toute l'étendue des Vosges, mais principalement à Remiremont. Des phénomènes analogues, quoique moins sensibles se sont encore reproduits en 1756 et 1765, le 7 octobre 1821, le 19 février 1822 et le 29 janvier 1931.
Orage à Remiremont - Archives de l'Abbaye -
... la foudre pénétra d'abord dans une chambre près de la porte d'entrée où travaillaient un tailleur d'habits et sa femme, assis tous deux à l'opposite des deux côtés de la table. Ils furent soulevés tous deux en même temps, et étendus sur la table, sans avoir d'autre mal que la frayeur. De là, elle passa à la cuisine, où trouvant le marmiton,elle le plia de telle manière qu'il avait le menton sur les genoux, et le mit dans le cadre d'une chaise de bois, qu'il fallut casser pour l'en tirer vivant et sans le blesser, au grand étonnement de ceux qui le secoururent. De la cuisine, elle passa dans la salle des hôtes, qui étaient au nombre de six avec autant de religieux à table ; ils furent tous terrassés et, revenus de leur frayeur, ils ne se plaignirent d'avoir senti aucun mal que comme des coups de masse sur la tête et sur différentes parties du corps et s'aperçurent ensuite que tout le poil de leur corps, excepté la tête était rasé. Enfin la foudre alla à l'église et perça un gros pilier de plus de dix pieds d'épaisseur et d'une pierre très dure, en y faisant une ouverture de la grosseur d'une balle de calibre, comme si un serrurier l'eût fait avec un instrument à perforer. Au sortir de ce trou, la foudre attaqua la porte du tabernacle qui était de marbre encadré : elle en détacha les deux gonds qui se trouvèrent posés sur la pierre d'autel, de même que la porte, sans aucune fracture et sans que le ciboire et le saint sacrement eussent reçu aucune atteinte." Voyages anciens et modernes dans les Vosges
A cette époque, la France offrait encore de grandes forêts et des marais d’une étendue considérable. Les fleuves et les rivières n’étaient pas contenus par des digues et, dans leurs débordements, ils couvraient au loin les plaines où, en se retirant, ils laissaient des palus et des méandres ; les parties cultivées étaient mal disposées pour l’écoulement des eaux de pluies ; la religion chrétienne, en instituant le carême et de nombreux jours de jeûne, avait amené la création de nombreux étangs de sorte qu’à chaque pas se rencontraient des eaux stagnantes, remplies de plantes aquatiques et produisant sous l’action des chaleurs de l’été, des émanations insalubres, des miasmes putrides et délétères.
Les villes et les châteaux étaient entourés de hautes murailles bordées de fossés d’eaux croupissantes ; ces murailles interceptaient l’action des vents, mais n’empêchaient pas les lourdes vapeurs exhalées des fossés de retomber dans l’enceinte sur les habitations.
Dans les villes, des rues sales et étroites, des maisons basses et malsaines, le cimetière autour de l’église et même dans l’église, la population entassée dans des appartements étroits et obscurs, comme si elle s’était attachée à résoudre le problème de faire tenir le plus de monde possible dans le moindre espace donné.
Dans le château, des murs épais, des chambres éclairées sur les cours intérieures, n’ayant vers le dehors que d’étroites meurtrières préparées pour le combat ; autour du château, pressées auprès des fossés comme pour mieux en respirer les exhalaisons funestes, des cabanes, de véritables huttes, où le serf, sa famille et ses bestiaux habitaient en quelque sorte côte à côte au milieu des odeurs des étables et des fumiers.
La médecine au moyen-âge n’était pas ignorée mais elle comptait un petit nombre d’adeptes. Les campagnes et un grand nombre de villes ne possédaient aucun médecin. Quant aux hôpitaux destinés au traitement des malades, les grandes villes seules en étaient pourvues. Au moment d’une épidémie, les magistrats avaient donc peu de ressources pour la combattre.
Le costume du médecin de la peste est constitué de 80% de cuir qui est une matière assez efficace contre les piqûres de puces et qui sert de carapace au médecin. Dans certains cas, le cuir du costume est remplacé par une tunique faite de lin. Dans le masque en forme de bec d'oiseau, on incorpore des herbes aromatiques afin de protéger le médecin de l'air putride. Sur le masque, il y a des bésicles (anciennes lunettes rondes). La canne sert à soulever les vêtements des pestiférés.
Les malades ne pouvaient avoir recours qu’à des charlatans ou à des guérisseurs. Des remèdes traditionnels, des pratiques superstitieuses, des prières et l’invocation des saints, tels étaient les obstacles qu’on s’efforçait d’opposer aux maux du corps. C’étaient à des miracles, ou aux effets de la sorcellerie ou de la magie, que l’on demandait des guérisons.
On comprend donc que, lorsqu’une épidémie éclatait, favorisée par tant de causes d’insalubrité, abandonnée à son cours par l’impuissance de la combattre, elle faisait et devait faire d’immenses ravages.
Les villages contagionnés sont privés de soins médicaux, mourant de faim, de misère et de maladie.Dans la peste de 1627 à 1637, en Lorraine, les mesures les plus rigoureuses sont adoptées pour la sequestration des pestiférés ; la peine de mort est prononcée contre toute infraction à l'isolement. Toute ville, tout village interdit est privé de relations avec les villes et les villages voisins, les habitants ne peuvent s'en aller ; des cordons de troupe ou des paysans armés font la garde autour du village contaminé.
Précautions prises : "Est pareillement défendu à toutes personnes, de quelles conditions qu'elles soient, de visiter aucun malade, soit à raison de proximité, soit autrement, à peine de 50 fr applicables trois quarts pour les pauvres et un quart pour le dénonciateur ou rapporteur, et dont les chefs de famille répondront en leur propre nom pour leurs enfants. Et quant aux médecins, apothicaires et chirurgiens, il ne leur est loisible de voir ou traiter aucun malade, qu'ils n'en aient pouvoir du sieur Mayeur ou commis, qui ne concéderont ledit pouvoir que lorsque le chirurgien de la santé n'ait au préalable certifié que le malade qu'il voudrait voir ou traité n'être suspect de maladie contagieuse.
Dumont - Dès que, dans le voisinage, la mortalité passait pour sévir, l'autorité supérieure intervenait; c'était sous les peines les plus sévères qu'il était défendu d'aller aux lieux infectés ou d'en revenir. En 1610, c'était la peine de mort, même contre les gardes des portes qui auraient laissé pénétrer dans la ville, sciemment ou par maladresse. En 1625, on vit le bailli des Vosges établir, à chaque porte de la ville de Mirecourt, un bourgeois chargé de déférer le serment à tous les arrivants sur la question de savoir s'ils avaient été, depuis six semaines, dans les pays soupçonnés; en cas d'affirmative, on leur intimait l'ordre de partir au plus vite, et, en cas de négative, si quelqu'un digne de foi se trouvait là pour attester le contraire, exécution de parjure était faite immédiatement à la potence.
A Nancy, un médecin et un pharmacien sont chargés de faire un rapport sur tout malade qui présente les symptômes de la peste; les médecins et les pharmaciens sont tenus de dénoncer les pestiférés de leur clientèle. Le malade est aussitôt levé sur une voiture, conduit aux loges et les personnes habitant la même maison envoyées en autres lieux. Les commissaires ou quarteniers conduisent alors à la maison les aéreurs qui y brûlent des parfums, lavent les meubles et les rideaux démontés, soumettent à des fumigations les livres et les papiers. Après les aéreurs, viennent des femmes qui mettent tout en ordre.Quelquefois, quand la peste avait fait beaucoup de victimes dans une maison, le conseil médical la faisait démolir ou brûler. Les magistrats défendent l'office divin dans les églises paroissiales.
Ce qui rendait surtout les épidémies meurtrières, c’était l’inintelligence et la cruauté des moyens que les autorités employaient pour les combattre. Toutes les maladies épidémiques recevaient le nom de peste, quels que fussent leur nature ou leur caractère ; toutes étaient réputées contagieuses : aussi, à part quelques précautions de salubrité, toutes les mesures de l’autorité avaient-elles pour but de prévenir la contagion et de séparer les malades des personnes saines. C’était, à peu près partout, l’interdiction de toute communication avec les pays infectés, la relégation des malades dans des lieux séparés, l’interdiction de tout contact avec eux. Plus l’épidémie était grave, plus ces mesures s’exécutaient avec rigueur ; plus aussi les malades étaient privés des secours dont ils avaient si besoin, plus aussi leur mort était certaine. En consultant les archives des villes et les chroniques, on frémit de l’inhumanité incroyable qu’attestent les mesures adoptées, en même temps qu’on s’indigne de la lâcheté de ceux à qui l’autorité était remise.
Il faut éloigner les malades, les écarter pour éviter la contagion générale. C'est pourquoi, on leur construit des abris précaires où ils peuvent, suivant les cas, survivre ou mourir à petit feu. Astreints à un séjour hors des murs, ils ne sont cependant pas oubliés et reçoivent des secours matériels et spirituels de la part des gens valides. Les lieux de leur éloignement ont marqué la toponymie de nos campagnes et il n'est guère de communes où l'on ne trouve des lieux dits les Loges, les Baraques et autres appellations rappelant ces antichambres de la mort.
Une loge est une misérable cellule de 2,30 m de long sur 1,30 de large, éclairée par une étroite baie et dans laquelle on descendait par quelques marches. Les défunts n'ont généralement pas droit à une sépulture au cimetière de la communauté et ne pouvaient reposer parmi les leurs au pied de leur église familière. Il ne fallait pas risquer de ramener la contagion au village. On les inhumait à l'écart, dans les champs, en bordure des sentiers et même en forêt. Et parfois la famille leur faisait élever une croix de pierre. Compte tenu du nombre important de morts par contagion, il et fort probable que ces croix furent nombreuses. Certaines ont pu être détruites, mais d'autres pourraient être encore enfuies.
Il existait déjà au moyen-âge des établissements consacrés au soulagement des malades ou à la bienfaisance envers les malheureux. On sait que, après les croisades, la lèpre se répandit en Europe. Suite à cette épidémie, il fut établi à proximité des villes des refuges nommés léproseries et maladreries où les lépreux étaient relégués, après qu’une procédure dirigée par les officialités ait constaté leur état et après que certaines cérémonies religieuses les aient séparés de la société et du monde ; une pauvre cabane et quelques arpents de terre constituaient ces établissements.
La lèpre, cette sorte de chancre qui rongeait lentement le patient et dont le caractère était l'ulcération, la dégénérescence ou la destruction de la peau, était une des maladies les plus hideuses, les plus contagieuses et les plus répandues au moyen-âge. Dès son apparition dans nos pays, ce terrible fléau rencontra, sinon pour l'arrêter, du moins pour l'adoucir, la sollicitude maternelle de l'église. Des conciles recommandèrent expressément les "ladres" comme on appelait les lépreux, à la charité ecclésiastique. On fit bâtir pour eux des maisons isolées et les évêques furent chargés du soin de les nourrir et de les vêtir.
Les léproseries étaient situées, la plupart du temps, à une certaine distance des grands centres de population afin d'éviter la contagion.
Le curé chantait une messe où le lépreux assistait, le visage couvert; le prêtre bénissait les habits qu'il devait dorénavant revêtir. C'est une robe ce couleur tannée, des gants de la même étoffe, un capuce et une ceinture d'où pend une bourse pour recevoir les aumônes. Il lui donne aussi des langues de bois, pour lui rappeler qu'il ne devait parler à personne autrement que par signes, des cliquettes (espèces de crécelles) pour avertir de sa présence, un entonnoir, un baril, un couteau et une écuelle.
"Gardez-vous d'entrer dans nulle maison autre que votre borde : ainsi ne devez entrer dans moulin ni église quelconque. Quand vous parlerez vous irez au-dessous du vent; quand vous demanderez l'aumône, vous sonnerez votre crécelle. Vous n'irez point loin de votre borde, sans avoir votre habillement de bon malade. Vous ne devez point boire à autre ruisseau que le vôtre. Vous ne regarderez, vous ne puiserez en puits, ni en fontaines, sinon les vôtres. Vous aurez toujours devant votre borde une écuelle fichée sur une petite croix de bois. Vous ne passerez point planches où il y ait appuyé, sans avoir mis vos gants...."
On lui faisait des obsèques, dans lesquelles le curé lui mettait trois fois, avec une pelle, de la terre du cimetière sur la tête en disant :"Mon ami, c'est signe que vous êtes mort, quant au monde." Cela fait, le curé avec la croix et l'eau bénite, le doit mener en sa "borde", en manière de procession, et quand il est entré en ladite borde, le curé le doit consoler en disant : " Mon ami, demeurez ici en paix. Ne vous déconfortez point, priez Dieu dévotement qu'il vous fasse la grâce de tout souffrir patiemment; et si vous le faites, vous accomplirez votre purgatoire en ce monde et gagnerez le paradis.
Ensuite le triste cortège prend le chemin de la maladrerie où une maison avait été préparée. Tous suivaient comme s'il s'agissait d'un convoi mortuaire et psalmodiaient le Miserere. Quand on arrive au lieu de la claustration, le lépreux baise les pieds du prêtre, entre dans sa loge et reçoit sur la tête une pellée de terre de la main du curé.
Il y a des vies mortes qui ont passé sans bruit, en faisant l'oeuvre des ancêtres, labourant profond cette bonne terre de Lorraine,et, sans nulle ambition, allant ainsi du berceau à la tombe, du grand lit à colonnes et à rideaux de miselaine à la fosse, oubliée aujourd'hui, terre et poussière retournant à la terre de chez nous.
Un jour, un homme, au cimetière, fouille cette terre et rouvre ce sol, fait de poussière humaine depuis près de huit cent ans.... et l'on voit des ossements qui blanchissent au soleil et qui s'écrasent sous les pieds des passants.....et l'on recueille des esquilles brisées, ultimes vestiges des générations disparues. - Emile Badel