Heures lorraines
Aux temps mérovingiens, il existe une noblesse de fonctionnaires dont font partie les hauts dignitaires de la cour ainsi que les ducs et les comtes qui administrent les provinces. A partir du VIIème siècle, il devient de règle que les fonctionnaires n'appartiendraient qu'à des familles riches, peut importe leurs origines. Ce sont les mêmes familles qui donnent à l'Etat ses fonctionnaires et à l'Eglise ses hauts dignitaires. Les charges publiques commencent à devenir héréditaires. Ces dynasties, en possession des terres et des fonctions, tendent à former dès lors une vraie caste nobiliaire.
Parmi les hommes libres, certains, accablés de dettes ou ne pouvant pas assumer la charge trop lourde du service militaire obligatoire, se mettent au service des plus grands. C'est leur seul recours pour survivre. La classe servile s'accroît par la chute d'hommes libres au rang de serfs.
Au début du Xème siècle, il ne reste plus guère dans la région de paysans libres ; la plupart des hommes qui, à cette époque, jouissent de la liberté complète, font partie de la noblesse.
Jusqu'au XIIème siècle, le domaine seigneurial est à la base de la vie rurale. Les anciens propriétaires des domaines mérovingiens sont devenus des nobles "seigneurs du fief", rendus forts plus ou moins, en fonction de l'affaiblissement du pouvoir royal, exempts d'impôts et rendant justice sur leurs terres.
Le régime féodal se caractérise par la disparition à peu près complète de la propriété pleine et entière : toute terre a au moins deux maîtres, le suzerain et le vassal qui en est l'usufruitier. Il s'établit une double hiérarchie de personnes et de terres, personnes et terres nobles, personnes et terres roturières. Les nobles doivent le service militaire, les roturiers des redevances en argent ou en nature. Terres nobles et roturières se transmettent héréditairement.
Anciens fonctionnaires, vassaux et propriétaires immunistes jugent, lèvent des impôts, le tout à leur profit, et vont enfin jusqu'à se faire la guerre.
La propriété seigneuriale se présente sous deux formes : l'alleu et le fief.
- l'alleu
L'alleu est un droit donné, soit par les Barbares, soit par les Romains de posséder une terre dont on a la propriété entière et complète: on dit qu'on lègue ses domaines que l'on possède par alleu. L'alleu est un ensemble de biens qu'un homme tient de ses parents. Beaucoup de domaines ecclésiastiques proviennent de donations royales faites aux évêchés et aux couvents, lesquelles étaient des alleus. Ces derniers étaient fort recherchés car ils soustrayaient les domaines de l'église au pouvoir et à la souveraineté des comtes. Les souverains distribuaient largement ces domaines qui, de ce fait, bénéficiaient d'une immunité et contrebalançaient l'influence de ces comtes.
L'alleu est la terre pour la possession de laquelle le propriétaire n'est tenu d'aucun service envers un autre seigneur. On le rencontre fréquemment en Lorraine. Les textes ne sont pas assez explicites pour qu'on puisse discerner l'étendue des droits des propriétaires de ces alleus. Ils sont au moins soumis à la souveraineté du duc, et, à cause de cette dépendance, le service militaire peut être exigé d'eux.
L'attribution de la justice à l'alleutier peut être fréquente lorsque l'alleu comprend un domaine complet soit un ou plusieurs villages par exemple. Quand il s'agit d'un alleu constitué sur une prairie, un bois ou sur une forêt, les propriétaires de ces alleus sont dispensés de tous les services et redevances envers le seigneur du ban et n'ont pas l'obligation de chevauchée.
La propriété allodiale se transmet par vente, par donation, par engagement ou cession temporaire. Les alleus forment l'exception et la plupart des terres sont possédées dans la forme du fief, soit sous condition de foi et d'hommage.
- le fief
Alors qu'auparavant, on pouvait devenir le fidèle d'un patron sans recevoir de celui-ci aucune terre, maintenant tout homme qui prête serment de fidélité à un patron se voit attribuer la jouissance d'une terre; on les appelle des vassaux. Tous les personnages considérables, ducs, comtes, évêques, etc, ont des vassaux.
C'est une manière fréquente de récompenser les services rendus : la terre est la monnaie la plus courante. Le roi conserve le domaine qu'il concède et garde sur lui le droit de retour en cas de mort ou de démérite du bénéficier et de plus il reste maître d'en réglementer minutieusement la jouissance.
Les bénéfices sont les terres qu'on a reçues en concession temporaire ou viagère : ce sont des portions détachées du domaine royal ou de quelque grand domaine appartenant à un seigneur laïque ou ecclésiastique que le roi ou le propriétaire a octroyé à titre viager, et qui doivent, après l'extinction de l'usufruit arrivée soit par la mort de l'usufruitier soit par celle du donateur ou par l'ingratitude ou la désobéissance, être restituées telles qu'elles avaient été primitivement concédées.
Le bénéficier a le droit d'user du domaine, d'en recueillir les fruits : il ne peut ni le vendre, ni le détruire. L'esclave ou le serf faisant partie d'un usufruit doit rester fixé dans sa condition et il ne peut pas le changer d'emploi.
Si la terre est laissée inculte, le bénéficiaire perd le bénéfice pour négligence. Il doit aussi l'améliorer de façon que ces portions du domaine royal doivent y rentrer meilleures qu'elles n'en sont sorties.
Le bénéficier doit remplir un office de police et dénoncer à l'autorité les brigands qui se trouveraient sur ses terres. On lui impose le devoir de nourrir les pauvres gens domiciliés sur sa terre et de les empêcher de vagabonder.
Le roi, en se dépouillant de ses bénéfices, ne se dépouille pas sans compensations et fait des bénéficiers, de gré ou de force, ses collaborateurs. Pour garantir l'observation de ces préceptes, les bénéfices de chaque province sont inspectés régulièrement par les représentants directs du prince qui, et à cette occasion, procèdent à un inventaire.
- En cas de famine, les denrées provenant de la terre sont employées d'abord à la nourriture des serfs qui y résident et seulement après on peut vendre le surplus des denrées produites par le bénéfice. Les serfs ne doivent pas travailler ailleurs que sur le bénéfice. De la nature même de la propriété bénéficiaire renaît le servage c'est-à-dire, l'immobilisation de l'esclave cultivateur.
le service militaire : tous les hommes libres, à proportion de l'étendue de leurs terres, sont obligés d'aller à la guerre à leurs dépens, ou de contribuer à l'entretien d'un soldat et de faire la garde. Quiconque tient du prince une terre en bénéfice est obligé de se rendre à l'armée, dès qu'il est convoqué et d'y venir avec l'équipement convenable, à peine de déchéance.
Le gîte : le seigneur en voyage vient s'installer chez son vassal avec toute sa suite, en exigeant le vivre et le couvert. Ces gîtes sont des obligations fort onéreuses pour le propriétaire et pour ses tenanciers.
Le seigneur n'est obligé de marcher que quand son suzerain en personne fait campagne, ou, tout au moins lorsqu'il s'agit du duc, si l'un de ses hauts officiers, le prévôt, le remplace dans cette fonction. On précise ensuite le but de l'expédition : ainsi les hommes de Chaumousey ne peuvent être convoqués que pour secourir les châteaux de Dompaire et de Châtenois. Enfin, en cas de retard, une amende spéciale est infligée aux récalcitrants.
Comme le seigneur ne peut les appeler que pour la défense du fief et pour un temps très court, ceux qu'animent l'esprit de conquête ont recours à des mercenaires qui vendent leurs services aux plus offrants. Telle est l'origine de ces routiers dont les pillages couvriront la France de ruines.
Les ducs et les comtes représentent le roi dans les provinces.
- le duc
Le duc peut avoir sous ses ordres plusieurs comtes. Le comte d'un pagus concentre entre ses mains tous les pouvoirs que se partagent aujourd'hui un préfet, un receveur des finances et un général. Les fonctionnaires ne reçoivent pas de traitement : les comtes ont la jouissance de terres du domaine royal qui constituent un bénéfice ; ils retiennent en outre une partie du produit des amendes.
- le bailli
C'est l'homme auquel le duc a baillé ses droits à garder. C'est le gouverneur général d'une province, chargé, moins de rendre la justice que de la surveiller et de la diriger. Choisi dans les familles les plus titrées et parmi les militaires les plus anciens et les plus élevés en grade, la force publique de la province est à ses ordres et les prévôts sous sa surveillance. Les clés des portes des cités lui sont remises ; il commande aux bourgeois armés : il est à la fois le général et l'intendant de sa circonscription.
En matière criminelle, en Lorraine, son autorité s'étend sur les nobles seuls. Dans le Barrois, au contraire, il est un recours, en dernier ressort, aux sentences des prévôts. Il préside le tribunal des Assises : là, on se prononce sur les sentences des prévôts et autres juges de la province qui viennent soutenir le bien fondé de leurs décisions.
Les Trois Evêchés, dès l'origine, n'avaient pas de baillis ; ces fonctions sont dévolues à des comtes, seigneurs les plus puissants du pays qui sont les rivaux des évêques. Aussi ceux-ci confient-ils également l'administration de la justice à des baillis.
- le prévôt
Il est au bailli ce qu'un capitaine est à son général. Il se trouve dans la prévôté que l'on peut comparer à nos cantons actuels. Il est à la fois juge, commandant militaire et percepteur des deniers du prince. Dans les communes régies par la loi du duc, le prévôt est tout : il juge au civil et au criminel et répond même des appels de sentence des maires et des échevins dans les petites matières de police. Comme chef de police, il fait les réglements ; comme juge, il fixe l'amende dont, comme capitaine,il poursuit jusqu'à exécution, le paiement. Au criminel, il arrête le prévenu, instruit son procès, le juge, lui fait subir sa peine, sans autre contrôle que celui de sa conscience.
Ce redoutable cumul de fonctions explique l'amour du peuple pour les chartes d'affranchissement. Le prévôt n'a aucune juridiction sur la noblesse.
Empoigner un homme poursuivi par la clameur publique, l'interroger brusquement, le condamner lestement pour le crime reproché ou ceux qu'il est capable de commettre, et le faire pendre, tout cela est l'affaire de peu d'instants et constitue un mode expéditif qui prend plus tard le nom de "justice prévôtale".
Les prévôts, considérés comme le représentant du seigneur, reçoit les hommages à sa place. A l'audience, à l'église, aux processions, il a le pas sur tous et marche à la tête des habitants, une fois armés (les milices). Les jours du plaid banal, il a ses dîner et souper.
- le comte
Le comte, délégué du roi, est un juge : les procès, les délits et les crimes de ses administrés sont portés devant son tribunal. Il rend la justice tantôt au chef-lieu du pagus, tantôt en certains endroits, toujours les mêmes, où il se transporte, pour éviter aux plaideurs des déplacements longs et onéreux. Il est comme le roi entouré d'assesseurs pris parmi les hommes libres présents à l'audience. Par la suite, Charlemagne les remplace par des juges permanents, les échevins, lesquels ne sont souvent que de simples instruments que le comte manipule à son gré.
En raison de l'étendue de leurs pouvoirs, les comtes possèdent une puissance aussi dangereuse pour le pouvoir royal que pour leurs administrés. En effet, difficile de révoquer ces "fonctionnaires" qui se considèrent comme propriétaires des charges qu'ils occupent et qui sont susceptibles de se révolter contre le souverain qui prétend les en dépouiller. La plupart du temps, ces mesures de rigueur ne frappent que les rebelles au souverain et encore faut-il que ce dernier ait les moyens matériels de faire exécuter la sentence. Quand le roi ou le duc est plus faible que le grand vassal, il laisse faire et se garde bien d'intervenir.
Les ducs, les comtes, les centeniers possèdent de grands biens dans les provinces qu'ils administrent et ils les étendent chaque jour, soit par des concessions, soit par usurpation et violence. Investis ainsi d'un double caractère, propriétaires terriens et dépositaires d'un pouvoir délégué, le premier leur sert de point d'appui pour changer la nature du second. Les deux caractères se confondirent et quand l'hérédité des bénéfices eut prévalu, l'hérédité des offices fut bientôt conquise. - Guizot
A l'origine et pendant les deux premiers siècles, les moines étaient de purs laïques, réunis dans une pensée religieuse, mais étrangers au clergé proprement dit. Retirés du monde, ils vivaient dans le silence, le jeûne et le célibat. Ascètes, ermites, anachorètes, ils se rapprochent pour vivre en communauté et reçoivent le nom de moines et de cénobites. Saint Antoine et saint Hilarion leur dictent des règles. Leur austérité, leurs pratiques étonnent la foule qui se précipite vers les monastères. Etrangers au clergé, leur caractère dominant est l'exaltation religieuse et la liberté.
L'origine de la vie monastique, dit M.Guizot, vient de l'état général de la société à cette époque. Elle est atteinte de trois vices : l'oisiveté, la corruption et la misère. Toutes ces conditions ensemble ou séparèment, déterminent les vocations de moines. Un peuple laborieux, honnête ou heureux, ne serait jamais entré dans cette voie. L'ennui, la paresse, la crainte de la misère, voilà ce qui fit les moines d'Orient et d'Occident, bien plus que l'exaltation religieuse."
Vers le milieu du VIème siècle, saint Maur, disciple de saint Benoît vient fonder en France des monastères de son ordre. Il y prospère rapidement. Une règle sévère impose la pauvreté, l'obéissance passive et le travail manuel. Les Bénédictins couvrent le royaume de couvents. Grâce à leurs règles, les monastères rendent d'immenses services.Il existe deux catégories de moines : la première qui ne pouvait s'occuper que de travaux agricoles, fut chargée de défricher les forêts et les concessions qui étaient faites aux abbayes. Après avoir conquis la terre, chaque monastère la fait cultiver. La seconde classe de moines comprend les savants, les lettrés, les érudits. Elle se charge de déchiffrer les anciens manuscrits, de les copier et de les sauver d'une perte irréparable.
A cette époque tourmentée où il y avait si peu de sécurité pour l'homme libre, pour sa protection, il était souvent obligé de vendre sa terre à un seigneur puissant ou à un monastère. Au lieu de se faire colon, on se faisait moine. Les monastères ont sous leurs ordres des esclaves, des serfs, des colons et tous les tributaires attachés à leurs possessions.
Les moines venaient d'un monde où les hommes étaient rudes, abruptes et sensuels, l'instruction nulle et la moralité inconnue. Certains sont devenus comme ce monde malgré les efforts des saints personnages et de nombreux conciles pour pallier à ces manquements.
Une abbaye est un grand monastère placé sous la direction d'un abbé ou d'une abbesse. Dans les Vosges, les plus importantes sont dirigées par une abbesse et accueillent des moniales.Chaque abbaye, selon sa règle, est porteuse d'une architecture,de règles issues des qui l'on fondée.
On parle tout d'abord d'une fondation qui devient un prieuré quand elle atteint un nombre de moines ou moniales et une autonomie financière suffisants. Puis une abbaye quand elle est pleinement autonome, que ce soit en nombre de moines (moniales), en bâtiments et en ressources.
Le prieuré et le couvent connaissent le même genre d'organisation que les abbayes mais n'ont pas d'abbé ou abbesse à leur tête ; ils dépendent d'une abbaye-mère ou directement du supérieur de l'ordre monastique.
Les abbayes qui jouissent des droits féodaux, sont ceintes de murailles crénelées, flanquées de tours. Elle doivent loger à l'intérieur de leur mur d'enceinte, les hommes d'armes et la population du village aux jours d'émeute et d'invasions. Elle doivent renfermer tout ce qui est indispensable à l'agriculture: des granges, des moulins, de nombreux ateliers pour la confection des vases sacrés; des émaux, des pièces d'orfèvrerie nécéssaires au culte, des salles pour les archives, la bibliothèque ; d'autres pour l'étude de la peinture, de la sculpture...
Les abbés ou abbesses ne doivent de tribut à personne. Ils ont le monopole de l'enseignement et la plupart de leurs collèges sont richement dotés. Comme propriétaires de fiefs, ils ont des vassaux, des serfs, des mainmortables et de plus, la dîme, qui, à elle seule, représente un revenu égal à tous les autres réunis.
Comme seigneur, l'abbé avait l'usurpation, la violence, les donations bénéficiaires, la recommandation, qui lui permettent de s'agrandir. Comme religieux : les aumônes, les donations pieuses pour le rachat des péchés ou en vue de la fin du monde. Autant de raisons qui viennent accroître la fortune de l'abbaye et arrondir ses possessions.
Pour administrer leurs immenses domaines, les abbayes ne peuvent pas remplir tous les offices séculiers. En particulier, il est interdit aux clercs de prendre les armes pour assurer la défense militaire de leurs terres et de leurs biens, ou même pour y exercer la justice. Les communautés religieuses font alors appel à des seigneurs laïcs qui, au titre d'avoués ecclésiastiques, vont les protéger contre d'éventuels ennemis et les décharger de leurs obligations profanes." *- La Forêt de Darney -
- les avoués
Les terres de l'Eglise, nombreuses et importantes, par suite des libéralités séculaires des rois et des princes entrent dans le même cadre féodal par l'institution des avoueries.
L'avoué représente l'abbaye, le prieuré ou le chapître dans les assemblés des seigneurs. Il est leur défenseur attitré. Les avantages que les avoués tirent de cet arrangement sont énormes car il perçoivent une partie des tailles et des amendes qui reviennent aux domaines ecclésiastiques. Ils ont aussi comme mission de les représenter devant le tribunal du comte et du roi, de juger ses hommes et de les conduire à l'armée. C'est le souverain qui nomme l'avoué. Cependant, il devient bien vite un simple agent au service des abbés, abbesses et évêques.
La Lorraine est divisée en plusieurs évêchés : ceux de Trèves, Toul, Metz et Verdun. Aucun évêque ne possède son siège dans les duchés de Lorraine et de Bar.
- Les évêchés se subdivisent en archidiaconés, les archidiaconés en doyennés ou archiprêtrés, les doyennés en paroisses dirigées par des curés. Aux côtés de l'évêque, il existe des chanoines qui possèdent des biens et qui les administrent : ils sont regroupés en chapître.
Le diocèse est assimilé à un grand domaine dont le maître, l'évêque, distribue les portions ( les paroisses) à des tenanciers (les prêtres) qui lui paient des droits proportionnels à l'importance de la paroisse concédée. Le produit va en majeure partie au maître soit l'abbaye ou l'évêque dont dépend chaque paroisse.
Le prêtre n'est pas rétribué : il garde pour lui le quart de la dîme et il a la jouissance de la partie du domaine appartenant à l'église. Car l'église rurale comme l'église épiscopale a son patrimoine propre. La partie réservée au prêtre comprend le presbytère, la grange et les terres directement cultivées par lui. Le reste des terres est divisé en tenures exploitées par des tenanciers libres ou des serfs. Ces tenanciers paient des redevances, sont taillables et corvéables comme les tenanciers des domaines laïques. L'évêque prend quasiment tout. Au prêtre de se rattraper en faisant payer par les paroissiens l'accomplissement des principaux sacrements, baptême, mariage, sépulture et la rédaction des actes civils - ventes, chartes de donation, conventions diverses, lesquels sont tous rédigés par le prêtre (seul à savoir écrire) en présence de témoins ( qui pour autant ne savent pas lire).
- L'église a pour ministres plus d'évêques guerriers que de saints pontifes, plus de moines ignorants que de prêtres instruits, plus de monastères fortifiés que d'oratoires paisibles, plus de richesse que de science. Rome s'occupe de la politique des empires, les sièges métropolitains sont presque héréditaires, les abbayes ont leur féodalité.
"Au milieu des guerres sans fin du Xème siècle, au milieu de l'anarchie, des calamités et des horreurs de ce siècle de fer, l'Eglise avait perdu toute sa force morale, dit Lavallée. Elle était devenue violente et sanguinaire. Plus d'ordre, plus de conciles, plus d'instruction, plus d'ascendant sur les esprits. Le clergé ne cherchait plus qu'à accroître ses domaines par la force des armes. Il devint ainsi tout aristocratique, reçut des fiefs et changea la France en théocratie militaire. Les prêtres, l'épée à la main, pillaient sur les routes, tenaient auberge dans les églises et s'entouraient de femmes perdues. Les cathédrales et les monastères étaient fortifiés et soutenaient des sièges. La force avait remplacé l'élection et la corruption achetait les dignités. Des évêques étaient mariés et transmettaient à leurs enfants leurs dignités et leurs domaines ecclésiastiques. La papauté elle-même était dégoûtante de sang et de débauches. Deux femmes galantes, Marauzia et Théodora faisaient élire leurs amants, Sergius III et Jean X, et ce dernier était assassiné par sa maîtresse, qui élevait au trône pontifical Jean XI, son fils adultérin. Lavallée - Histoire des Français
Progressivement les peuples passent de l'état de servage à celui de bourgeoisie, gouvernés par des maires, maieurs et jurés de leur choix, ne devant plus à leur seigneur et au prince d'autres services que celui de la chevauchée et de la guerre et n'obéissant plus qu'à des lois fixes et non arbitraires ; le bourgeois est libre de sa personne et de ses biens ; il peut changer de domicile et son ancien seigneur ne peut plus exercer sur lui le droit de poursuite, signe de sa servitude.
Ces chartes sont accordées soit à des centres de population déjà anciens, soit pour appeler des habitants au moment de la création de bourgs nouveaux. Les uns et les autres sont alors désignés sous le nom de "villes neuves" à cause de la nouvelle application de la franchise.
Il n'y eut pas en Lorraine de révolution communale ; la liberté bourgeoise y naquit sans secousses et comme un produit naturel du sol. Aussi la Lorraine ne connut pas cette lutte continue qui pesa si longtemps sur la France et qui, transformée de formule en formule à travers les âges, aboutit à la fin du XVIIIème siècle au triomphe des classes roturières sur les classes privilégiées.
Ce n'est pas la lutte armée qui, en Lorraine, a fondé le tiers-état. Si ailleurs dans le royaume de France, de grandes et populeuses cités se sont affranchies du joug féodal grâce à leurs archers sur les tours des remparts et les herses de fer qui s'abaissaient devant leur porte, il n'en a rien été de tout cela en Lorraine. D'une part, il n'y avait pas une seule ville en état de supporter une guerre envers son suzerain.
La capitale même du duché, Nancy, existait à peine comme ville. Il n'y avait que des bourgades donc au Xème siècle, pas de vastes associations d'hommes en armes, se réunissant dans l'église ou sur la place du marché, prêtant sur les choses saintes le serment de se soutenir les uns, les autres contre l'opresseur commun. Aucune ville du duché ne peut se glorifier d'avoir été une commune dans le sens qu'avait ce mot au moyen-âge. Aucune ville n'a conquis par une insurrection bourgeoise sa charte de commune. La commune est l'expression de la liberté locale.Il n'y eut en Lorraine que des concessions seigneuriales qui ont volontairement octroyé la license d'être libre. Le mot affranchissement est le seul convenable pour qualifier le fait qui a rendu libres les villes lorraines.
C'est Ferri III qui fut le promoteur de l'émancipation communale en Lorraine. C'est par lui que les principales agglomérations du duché furent dotées de libertés urbaines et de privilèges. Les premiers affranchissements en Lorraine ne datent que de la seconde moitié du XIIIè siècle. Neufchâteau en 1257, Arches en 1263... Les chartes ainsi concédées par Ferri III dérivent toutes d'une charte modèle, celle de Beaumont-en-Argonne.
La loi de Beaumont place le pouvoir politique en la personne du seigneur, de l'Archevêque : ces derniers peut convoquer les bourgeois pour aller à la chevauchée; c'est en son nom que les plaids généraux se réunissent ; il perçoit chaque année un impôt fixe ou plutôt, il touche le produit de cet impôt levé par les soins des magistrats municipaux ; le four banal et le moulin lui appartiennent ; il touche la moitié du produit des amendes et le mayeur et probablement les jurés lui prêtent serment de fidélité.
Le service militaire est une charge insignifiante : si l'archevêque a gardé le droit de mander les bourgeois à la chevauchée, le service maximum n'est que de deux jours.
Le bourgeois possesseur d'une maison dans la ville ou d'un jardin hors des murs, devait douze deniers payables par moitié : une fois à Noël et l'autre à la Saint-Jean-Baptiste. Trois jours après l'échéance, le retardataire était puni d'une amende de deux sous.
L'impôt sur les maisons et les jardins est un impôt fixe. L'impôt sur les terres est au contraire, proportionnel : les prés payent quatre deniers par fauchées ; la terre, déjà en culture doit douze gerbes deux et la terre susceptible d'être défrichée de quatorze gerbes deux.
Le droit prélevé par le moulin et le four seigneurial est d'un vingtième sur le grain et d'un vingt-quatrième sur le pain. Liberté absolue de vendre et d'acheter sans aucun droit de vinage ni tonnage. Le libre usage des eaux et des bois est concédé aux bourgeois soit le droit de pêche, en tous cas, la faculté de prendre dans les forêts tout le bois nécessaire aux besoins de chaque ménage.
L'administration de la commune est confiée à un mayeur et à un certain nombre de jurés, élus parmi les bourgeois et par tous les bourgeois. Ce conseil électif cumule les fonctions administratives et les fonctions judiciaires. Nul ne peut décliner son universelle juridiction. Il tient, trois fois l'an, un plaid ou conseil. Le mayeur et les jurés sont responsables, vis-à-vis des officiers de l'Archevêque des revenus seigneuriaux. Ils ne peuvent rester en charge plus d'un an à moins qu'une nouvelle élection ne leur donne l'unanimité des suffrages.
Dans les communes affranchies, le prévôt est percepteur et commandant militaire chargé de poursuivre et de surveiller l'exécution des sentences de la justice.
Quiconque se présente à Beaumont pour y habiter en qualité de bourgeois donnera à son entrée un écu au mayeur et aux jurés. Le mayeur assigne en échange au nouvel arrivant une maison et un lot de terre. Cette disposition ne peut être applicable en Lorraine que dans les villes dépeuplées par la guerre, la peste ou par la misère.
Violent ou paisible, l'établissement des communes était non seulement une révolution, mais le germe d'une série de révolutions destinées à renverser de fond en comble la société féodale. Les communes sont l'origine du monde social des temps modernes. La bourgeoisie, nation nouvelle dont les moeurs sont l'égalité civile et l'indépendance dans le travail, s'élève entre la noblesse et le servage. - Auguste. Thierry - Histoire du Tiers-Etat.