Heures lorraines
Les Leuques progressent à pied en suivant les rivières ; de Toul, ils traversent l'actuel Vaucouleurs ; ils suivent le cours de la Meuse : sa vallée avec le cours très lent de ses eaux n'est qu'une succession de marécages et d'ilôts boisés et les régions avoisinant ses deux rives sont couvertes de forêts. La population est rare : seuls quelques groupes d'habitants. Aucune voie n'en descend le cours : c'est par la Moselle que se font les transports par eau.
Sur leur route, ils profitent des fortifications de la nature : les rivières et les monts. Dans leurs marches, dans leurs haltes, ils s’entourent de leurs chariots où ils passent les nuits avec leur famille. Dans l'épaisseur des forêts, ils creusent des abris pour se protéger des vents et du froid à l'instar des ours. S'ils doivent rester plus longtemps en un lieu, ils construisent un abri avec un toit fait de branches d'arbres et de boue. Ils n'ont comme biens personnels que le butin fait sur l'ennemi, leurs chariots qui leur servent de toit et leurs troupeaux domestiques. Dans leur migration, ils emmènent leur bétail, leurs chevaux pour les combats, du porc salé. Ils sont passés maîtres en salaison. Ils recueillent également du miel en très grande quantité. Ils se nourrissent de galettes cuites sur des pierres chauffées, de bouillies et de pain azyme. Ce pain leur sert d'assiette pour poser ou couper certains aliments : humecté ainsi par les sauces et par le jus des viandes, il se mange ensuite comme un gâteau. La chasse, le gibier, le poisson viennent en complément. L'eau, la cervoise et le lait sont leurs principales boissons.
Ils remontent le Vair près de Neufchâteau ; le point de pénétration dans les Faucilles peut être situé à la source du ruisseau de Provenchères, un affluent de la Saône.
Puis ils arrivent au pays des collines lesquelles forment un arc qui leur vaut le nom de monts Faucilles : c'est au sommet de ces dernières que le peuple leuque arrive au terme de sa longue marche. Au loin, une ligne bleuâtre, presque unie marque la crête des montagnes puissantes du massif vosgien. C'est une citadelle géante, leur cercle menaçant borde l'horizon tout entier. Si elle n'est qu'un froid et dur squelette de granit et de pierre,la nature l'a parée d'immenses forêts : la noire armée de sapins et la blancheur des hêtres. En contrebas, devant eux s'étale une une immense forêt de feuillus, si conforme à son désir qu'ils appellent cette contrée Vogesus.
Le peuple celte des Lingons est établi sur les hauteurs du plateau de Langres et dans les vallées voisines jusqu’à la rive droite de la Saône ; un autre peuple celte, celui des Séquanes s’étend sur toute la rive gauche de la Saône, jusqu’aux sommets du Jura et jusqu’au Rhin. Il serait logique de penser qu’à l’origine la frontière qui séparait les Leuques des Séquanes pouvait géographiquement correspondre à la ligne de faîte qui partage les eaux de la Mer du Nord et celles de la Méditerranée : cette suite de collines serait les monts Faucilles.Presque tous ses torrents courent vers le Rhin ou vers la Moselle mais tout au sud, là où la chaîne est la plus haute, les rivières s'inclinent vers le Rhône grâce à la Saône.
Cette région est restée isolée, peu d'hommes en avaient fait leur demeure : les voies de communication datant de l'Antiquité sont certes utilisées mais nul ne s'aventure en dehors de ces voies bien tracées car l'épaisseur et l'étendue de ses forêts en font un obstacle naturel. Ce sont des terres de tempérament froid, des étangs, des tourbières, des faings (marécages), des bois et encore des bois où dominent des hêtres. Il faut imaginer une forêt inextricable de part et d'autre d'un chemin qui, rappelons-le, n'était pas praticable par les chariots, et aussi peuplée de bêtes féroces dont beaucoup ne sont plus de nos jours.
→ Voies de commerce dans la Vôge
Ils commencent par cacher leurs druidesses au coeur de la forêt.
Pour refermer ce point de passage qu'ils allaient laisser derrière eux et pour éviter que d'éventuels poursuivants ne les surprennent, ils construisent un oppidum. Cet oppidum est en quelque sorte un poste de contrôle vis-à-vis de tous ceux qui emprunteraient cette piste. Certains seront plus tard des bourgs fortifiés.
Une partie du peuple reste sur cet oppidum tandis que les autres commencent l'exploration du territoire qu'ils se sont appropriés, sans complications, tellement cette terre inhospitalière n'avait jusqu'à présent suscité un quelconque attrait.
On ne connait pas avec certitude leur lieu de pénétration dans les Faucilles : ce sont des vestiges trouvés ça et là qui nous donnent des indications sur leurs périgrinations.
"Les habitants de la Gaule Belgique affectaient un souverain mépris pour le luxe et la mollesse nécessaires aux autres peuples. Ce qui contribuait à leur valeur, était leur éloignement des pays où régnait la délicatesse, la politesse, l’abondance et le peu de commerce qu’ils avaient avec les marchands qui auraient pu leur apporter les choses propres à les corrompre et à affaiblir leur vigueur" – Tacite. C’est pourquoi on a ignoré ce qui les concernait avant que la fréquentation des Romains ait civilisé leurs mœurs.
Le peuple n'est guère considéré que comme esclave, il n'ose rien entreprendre par lui-même et n'entre dans aucun conseil. La plupart d'entre eux, quand ils se voient écrasés par les dettes, par les impôts ou par le despotisme des grands, se mettent eux-mêmes sous la dépendance d'un noble qui prend sur eux toute l'autorité d'un maître sur ses esclaves.
De tous les peuples gaulois, les Belges passent pour les plus vaillants. D'après Lucain, ce sont d'habiles lanceurs de javelines.
Dom Calmet - Ils demeurent le long des rivières et des forêts pour éviter les fortes chaleurs et l'hiver ils se retirent dans les forêts. Aussi les carrières ombreuses des forêts sauvages pouvaient cacher les habitations de quelques clans leuquois.
Les habitations dans l'ensemble sont dispersées. Au départ, leurs motifs politiques sont de ne pas laisser à l'ennemi des ressources ou des abris. ils n'ont aucun édifice fait avec des murs pour pouvoir les détruire plus facilement dans le cas d'une guerre ou d'une irruption. Plus tard, ils feront des maisons plus solides dont le faîtage est ouvert de gazon, de roseaux ou de planchettes de bois ; les pans sont faits de torchis entrelacés de branchages ou de troncs avec des branches. Leur toiture est fort élevée et en pointe à cause de la forme ronde des maisons. - Strabon
Quant aux villages, pour plus de commodités, ils sont bâtis près d'une fontaine. On appelle "pagus" un ensemble de maisons où les habitants boivent l'eau d'une même fontaine.
Ce fut la peuplade la moins bruyante de la Gaule et peut-être une des plus villageoises. Le pâturage et l'élevage (porcs, moutons, boeufs) sont les plus importantes ressources rurales : ils sont grands mangeurs de cochon, tant frais que salé. Ils laissent en plein champ ou dans les forêts ces animaux qui sont d'une taille, d'une force et d'une légereté à la course peu ordinaires : aussi leur rencontre est-elle aussi dangereuse que celle d'un loup. Les terres sont mises en valeur grâce aux défrichements effectués souvent par incendie. Les femmes seules sont chargées du travail de la terre. La maison d’habitation est toujours au milieu du terrain clos et entouré.
Il leur faut du sel et du fer : ils le trouvent dans la vallée de la Meurthe et en échange, ils donnent leur blé.
Ils ont comme emblème la hure du sanglier. Ils sont capables de ciseler le bronze, de pratiquer la poterie et de forger des monnaies (celle des Leuques représente un sanglier côté pile et un profil d'homme côté face); ils font aussi du charronnage, une boissellerie très rudimentaire, des sabots et travaillent le cuir.
Ils n'élèvent ni temples, ni statues à leurs divinités. Ils croient en l'immortalité de l'âme. Ils emploient comme sépulture l'inhumation et l'incinération : cadavres et cendres sont placés dans des tumuli et avec eux des outils, des objets de parure et des armes.
Combien de temps les Leuques bénéficièrent-ils de l'état de tranquillité qu'ils avaient recherché ? Tout porte à croire que ce fut longtemps : n'étant pas belliqueux et ne se souciant que de vivre ignorés de leurs voisins, ils restent dans leur forêt-refuge sans s'ocuper des Séquanes belliqueux qui ne semblent pas attirés par ces lieux austères.